Le lundi, ma mère et mes soeurs aînées se levaient de bon matin pour frotter le "bleu", préparer le "blanc" pour la lessiveuse et battre les draps. Vers le milieu de la matinée, nous partions, poussant notre petite charette chargée de linge, pour le lavoir, un petit batiment posé à califourchon sur la Gervonde. Souvent nous n'étions pas les premiers à venir rincer le linge dans l'eau courante du ruisseau. C'était l'occasion, en attendant notre tour, de grandes discussions entre femmes du hameau. On se racontait les nouvelles, on s'invitait à "veiller" pour le soir ou le lendemain, on parlait du temps, des animaux de la ferme. En attendant la fin du rinçage, j'aimais à courir autour de cette petite maison, comme je l'appelais. Je poursuivais mes amies les libellules et grenouilles, repérais les cachettes des truites sous les pieds des vernes bordant la rivière, ou les nids des martins-pêcheurs creusés à fleur d'eau. Mais c'était un temps de dur labeur pour les femmes, les mains dans l'eau glacée l 'hiver, la lourdeur des draps à soulever, la position à genou sur la pierre et le chariot à remonter, lourd du linge mouillé... Ces lavoirs, qui disparaissent les uns après les autres sont encore, là où le temps ne les a pas détruits, les rescapés d'une époque révolue. On devrait les conserver jalousement comme les petits monuments historiques de nos campagnes... Bruno Armanet _ "Mes songes des nuits d'automne" (Ed. La Pensée Universelle). |
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