D'un poste de commandement
Bataille de l'Ailette - 23 octobre - 2 novembre

Marcel Prévost de l'Acédémie française
 

LE P.C. DU C.A.
Le petit château de C...-sur-Aisne - un corps de logis flanqué symétriquement de deux poivrières, fut bâti sur une terrasse qui s'abaisse vers la rivière par une déclivité rapide. Les sacs de terre enveloppent tout le rez-de-chaussée jusqu'à mi-hauteur des fenêtres...

LE BUREAU
Derrière les vasistas aveuglés par des planches ou des toiles, que les coups de 370 font sursauter, les lampes électriques sont allumées. Deux cents êtres humains travaillent dans les bureaux. Quelques-uns sont de simples manoeuvres de la plume ou de la machine à écrire; leur rôle est de noter ou de copier au net la pensée dictée par les chefs. Tout ce travail est en ce moment tendu vers un objectif unique : l'offensive prochaine. Et voilà des jours et des jours, des soirs et des soirs que le même effort se poursuit, actionné par les mêmes cerveaux. Le groupe de cerveaux qui s'occupe d'un tel travail, c'est ce qu'on appelle l'Etat-Major.


Général Degoutte
Cdt. du 21e corps d'armée.
 

LE JOUR J (23 OCTOBRE 1917)
Après l'échéance de l'heure H, il y eut au P.C. du C.A. un quart d'heure de silence où l'on ne sut rien. Puis, une première dépêche arriva, tapée sur papier pelure. Au commencement de la bataille, les dépêches donnèrent aussitôt l'impression d'une progression prompte et sûre. Une pelure disait : "Fantomas a gêné le travail... " Qu'était-ce donc, ce gêneur ? Un avion énorme, blindé, qui volait bas, mitraillait nos fantassins et semblait se jouer des balles : les hommes l'avaient nommé : Fantomas.(On parlait beaucoup d'un avion allemand qui cherchait à épouvanter les lignes françaises. A l'aube et au crépuscule il mitraillait nos fantassins au ras des tranchées. L'aviateur qui le pilotait se proclamait invincible. Il laissait tomber des banderoles portant ce défi : Aucun Français ne me descendra jamais Signé : Fantôme-As... Le lieutenant Hély d'Oissel me donna le signalement de cet avion qui portait deux oriflammes noires et lançait des fusées multicolores. Paroles d'un revenant - Jacques d'Arnoux)
De pelure en pelure, la ligne bleue de nos positions, sur la carte, se modifiait, se complétait, glissait vers le nord... Comment arrivaient-elles ? Par tous les moyens, du simple coureur jusqu'à la T.S.F, en passant par le téléphone qui suit l'infanterie pas à pas, par la T.P.S (télégraphie par le sol), par la télégraphie en fusées, etc...

LE SECOND JOUR DE LA BATAILLE
Au voisinage de nos anciennes lignes, la route s'infléchit à gauche vers Vaudesson : trois tanks sont en panne depuis la veille; englués dans la boue glaiseuse, ils n'ont pu, hier, grimper la côte. Un tank dépanneur crache, rage, et, si l'on peut dire, piétine pour les sortir du gâchis... Comment définir l'émotion ressentie à passer ces lignes de tranchées françaises, d'où, si peu d'heures auparavant, nos troupes se sont élancées dans la nuit, vers la victoire ! Je cherche des mots et des images... Il n'y a rien... La trombe d'acier, la tornade d'explosifs ont tellement bouleversé le sol, pendant six jours et six nuits, qu'on ne saurait deviner à quelle profondeur tout ce qui subsistait à la surface est descendu en dessous. Il n'y a rien... Ni abris, ni tranchées, ni boyaux... rien !...

PARIS
A peine débarqué dans Paris, le même soir, un ami civil m'aborda : - Et bien, qu'en dites-vous ? Je dis que c'est splendide, onze mille prisonniers, plus de deux cents canons - Les Italiens ? Non, les boches, sur l'Ailette... - Il s'agit bien de l'Ailette. Avez-vous vu le communiqué allemand sur l'Italie, dans le Journal de Génève ?
Vainqueurs de la Malmaison, des carrières Montparnasse, des Bovettes et du Mont-des-Singes, il en faut prendre votre partie : certains civils de l'arrière n'accordent d'intérêt qu'aux désastres. Si les boches vous avaient rejetés des massifs de l'Aisne, Dieu sait ce qu'on aurait entendu et combien de malles se seraient bouclées en hâte pour le Midi !

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