LE P.C. DU C.A.
Le petit château de C...-sur-Aisne - un
corps de logis flanqué
symétriquement de deux
poivrières, fut bâti sur une
terrasse qui s'abaisse vers la rivière
par une déclivité rapide. Les
sacs de terre enveloppent tout le
rez-de-chaussée jusqu'à
mi-hauteur des fenêtres...
LE BUREAU
Derrière les vasistas aveuglés
par des planches ou des toiles, que les coups
de 370 font sursauter, les lampes
électriques sont allumées. Deux
cents êtres humains travaillent dans les
bureaux. Quelques-uns sont de simples
manoeuvres de la plume ou de la machine
à écrire; leur rôle est de
noter ou de copier au net la pensée
dictée par les chefs. Tout ce travail
est en ce moment tendu vers un objectif unique
: l'offensive prochaine. Et voilà des
jours et des jours, des soirs et des soirs que
le même effort se poursuit,
actionné par les mêmes cerveaux.
Le groupe de cerveaux qui s'occupe d'un tel
travail, c'est ce qu'on appelle
l'Etat-Major.
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Général Degoutte
Cdt. du 21e corps
d'armée. |
LE JOUR J (23 OCTOBRE 1917)
Après l'échéance de
l'heure H, il y eut au P.C. du C.A. un quart
d'heure de silence où l'on ne sut rien.
Puis, une première dépêche
arriva, tapée sur papier pelure. Au
commencement de la bataille, les
dépêches donnèrent
aussitôt l'impression d'une progression
prompte et sûre. Une pelure disait :
"Fantomas a gêné le travail...
" Qu'était-ce donc, ce gêneur
? Un avion énorme, blindé, qui
volait bas, mitraillait nos fantassins et
semblait se jouer des balles : les hommes
l'avaient nommé : Fantomas.(On
parlait beaucoup d'un avion allemand qui
cherchait à épouvanter les lignes
françaises. A l'aube et au
crépuscule il mitraillait nos fantassins
au ras des tranchées. L'aviateur qui le
pilotait se proclamait invincible. Il laissait
tomber des banderoles portant ce défi :
Aucun Français ne me descendra jamais
Signé : Fantôme-As... Le
lieutenant Hély d'Oissel me donna le
signalement de cet avion qui portait deux
oriflammes noires et lançait des
fusées multicolores. Paroles d'un
revenant - Jacques d'Arnoux)
De pelure en pelure, la ligne bleue de nos
positions, sur la carte, se modifiait, se
complétait, glissait vers le nord...
Comment arrivaient-elles ? Par tous les moyens,
du simple coureur jusqu'à la T.S.F, en
passant par le téléphone qui suit
l'infanterie pas à pas, par la T.P.S
(télégraphie par le sol), par la
télégraphie en fusées,
etc...
LE SECOND JOUR DE LA
BATAILLE
Au voisinage de nos anciennes lignes, la route
s'infléchit à gauche vers
Vaudesson : trois tanks sont en panne depuis la
veille; englués dans la boue glaiseuse,
ils n'ont pu, hier, grimper la côte. Un
tank dépanneur crache, rage, et, si l'on
peut dire, piétine pour les sortir du
gâchis... Comment définir
l'émotion ressentie à passer ces
lignes de tranchées françaises,
d'où, si peu d'heures auparavant, nos
troupes se sont élancées dans la
nuit, vers la victoire ! Je cherche des mots et
des images... Il n'y a rien... La trombe
d'acier, la tornade d'explosifs ont tellement
bouleversé le sol, pendant six jours et
six nuits, qu'on ne saurait deviner à
quelle profondeur tout ce qui subsistait
à la surface est descendu en dessous. Il
n'y a rien... Ni abris, ni tranchées, ni
boyaux... rien !...
PARIS
A peine débarqué dans Paris, le
même soir, un ami civil m'aborda : -
Et bien, qu'en dites-vous ? Je dis que
c'est splendide, onze mille prisonniers, plus
de deux cents canons - Les Italiens ?
Non, les boches, sur l'Ailette... - Il
s'agit bien de l'Ailette. Avez-vous vu le
communiqué allemand sur l'Italie, dans
le Journal de Génève ?
Vainqueurs de la Malmaison, des
carrières Montparnasse, des Bovettes et
du Mont-des-Singes, il en faut prendre votre
partie : certains civils de l'arrière
n'accordent d'intérêt qu'aux
désastres. Si les boches vous avaient
rejetés des massifs de l'Aisne, Dieu
sait ce qu'on aurait entendu et combien de
malles se seraient bouclées en
hâte pour le Midi !
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