En octobre 1914, la guerre
écourte son séjour à
l'école normale. La consigne
ministérielle a été
donnée de remplacer certains
instituteurs mobilisés par des
normaliens en dernière
année d'études.
Célestin Freinet est donc
nommé à l'école de
Saint-Cézaire, à l'ouest de
Grasse (il a tout juste 18 ans). Six mois
plus tard, le 15 avril 1915, il est
lui-même mobilisé,
après avoir obtenu en mars le
Certificat de Fin d'Études
Normales. Combattant de
la Guerre de 1914-1918 il
raconte aux enfants son expérience
personnelle de la guerre dans un
récit écrit pendant sa
convalescence, publié en 1920:
Touché! (souvenirs d'un
blessé de guerre). Son
baptême du feu date du 2 janvier
1916 dans le sud de l'Alsace. Il est
aspirant et a la responsabilité
d'une quarantaine de soldats mais c'est le
23 octobre 1917 qu'il est très
grièvement blessé au Chemin des Dames
alors qu'une
curieuse tradition orale situe
l'événement à
Verdun.
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Célestin
Freinet. Souvenirs d'un
blessé de guerre. |
Je marchais droit devant ma
ligne de tirailleurs, regardant, sur la
côte en face, monter le 2
bataillon, précédé
du feu roulant. Un coup de fouet
indicible en travers des reins. "Pauvre
vieux.., c'est ta faute... Il ne fallait
pas rester devant... Tu n'aurais pas
reçu ce coup de baïonnette".
J'ai ri
- je croyais qu'un soldat m'avait piqué
par inadvertance, et je voulais l'excuser
- J'aurais voulu cacher ma douleur.. je suis
tombé...
Qu'elle est bête cette balle! Par le
milieu du dos, le sang gicle... Ma vie part
avec... Je vois la mort avancer au galop... Je
n'ai pas voulu m'évanouir et je ne me
suis pas évanoui... J'ai voulu me lever:
j'ai rassemblé toutes mes forces, je
n'ai pas bougé... Ma poitrine est
serrée dans un étau.
Couché sur le brancard, j'ai senti qu'il
pleuvait. (...)
Le médecin du bataillon est tout rouge
de sang - un boucher.
Dans le trou où
j'attends un autre crie... On vient...
Oh ! que
de blessés !... Je grogne. Les Allemands
qui me portent s'arrêtent. Ils cherchent
des épingles anglaises pour me couvrir
de deux capotes... Ils me remportent le plus
doucement possible... J'ai soif!... j'ai
soif!
- Rien à boire, ça vous ferait
mal.
Alors, j'ai revu la belle source de mon
village qui dégringole du rocher et qui
suit le canal. Je me suis couché
à plat ventre; j'ai trempé mes
lèvres avides dans cette eau
rédemptrice... Comme c'est
délicieux!... Jusqu'au matin, j'ai bu
l'eau si claire de notre source et elle ne m'a
pas désaltéré.
Pendant
quelques jours, c'est le combat contre la mort:
Quelqu'un me parle d'une voix douce et lente.
J'ouvre un instant les yeux. une grosse
tête encadrée d'une grosse barbe
se penche sur moi. On me frotte les mains, les
yeux, les oreilles, la bouche... Je baise un
crucifix énorme et froid...
-Ah ! non !je ne veux pas mourir !...
Ils sont fous de me donner l'extrême
onction !... Et je me replonge dans mon
éternelle inconscience qui est
déjà la mort. La sarabande
infernale recommence dans la poitrine et dans
le crâne. Vous tous, qui craignez la mort
parce que vous vous figurez une montagne de
souffrances toujours plus atroces jusqu'au
moment où vous vous sentirez devant le
gouffre, remettez-vous... C'est plus facile de
mourir et je ne le redoute plus. (...)
Malheureux compagnons, vous voyiez encore ce
matin une auréole de gloire. Non, nous
ne sommes pas "glorieux", nous sommes
"pitoyables". Elle ne reviendra plus ma
jeunesse perdue. Les feuilles ont poussé
trop tôt cette
année.
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