*** Historique des
régiments *** 30ème et 140ème RI
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HISTORIQUE DU 30ème REGIMENT D'INFANTERIE Année 1914 - 4 CITATIONS - |
1914 |
LE DÉPART
Dès les premières heures de la mobilisation, le 30e R. I., dont deux Bataillons sont détachés (Rumilly-Thonon), se rassemble à Annecy. Le 2e Bataillon (Rumilly-Montmélian), qui exécute des manoeuvres en montagne (Maurienne) doit rentrer à marches forcées. La mobilisation s'exécute avec ordre et calme, les réservistes font preuve du plus grand enthousiasme et retrouvent avec plaisir gradés et camarades qu'ils ont connus dans l'active.
Le 4 août, le Régiment est prêt. Le
Colonel Dol rassemble les trois Bataillons (Borne, Collet,
Lanusse) sur le Pâquier, au bord du lac, pour leur
présenter le Drapeau. Cette cérémonie,
déjà si impressionnante d'ordinaire, l'est encore
plus en ce jour, à la veille d'événements
qui vont décider du sort de la France. Dans le cadre si
riant et si joli du lac, sous ce radieux soleil
d'été, elle gagne encore en beauté ;
à la sonnerie de " Au Drapeau ! ", gradés et
soldats, les yeux fixés: sur l'emblème de la
Patrie, font le serment intime de donner leur vie pour
défendre ce sol sacré que l'Allemand veut nous
ravir. Le Colonel passe sur le front des troupes, puis, superbe
d'allure, au son des Allobroges, le Régiment
défile, aux applaudissements de la foule
enthousiasmée. Un regard de chacun en passant au Drapeau
! Ce sont les derniers adieux à leur petite patrie,
à leur famille, des soldats qui, demain, seront
prêts a vaincre ou à mourir. C'est la
consécration du serment qu'ils viennent tous de faire,
et qu'ils tiendront tous, officiers et soldats présents,
comme le tiendront ceux qui leur succèderont au cours de
la campagne, dans les rangs du 30°.
A partir du 5 août, le Régiment s'embarque en
trois échelons, par Bataillon, et débarque le 6
et le 7 à Epinal.
LES COMBATS DANS LES VOSGES (août - septembre 1914)
Du 7 au 10 août, c'est la période de concentration; le 30° stationne dans la région de Charmois; il y exécute quelques manoeuvres, destinées à donner la cohésion aux unités et à entraîner les réservistes. L'ordre de départ surprend les Bataillons en manoeuvre et l'on part sans que les hommes aient mangé la soupe. Du 10 au 14 août, le Régiment exécute des marches très pénibles par Corcieux, le Col du Plafond, Combrimont ; puis, à partir du 15 août, conformément à la mission générale du 14° Corps, qui est de s'emparer des Cols des Vosges, les trois Bataillons seront engagés la plupart du temps isolément ou en liaison avec d'autres unités de la Division.
Le 1er Bataillon (Commandant Borne) est détaché le 13 août pour renforcer une division de réserve. Le 17, il prend part à la prise de Villé. Le 20 août, chargé d'occuper le Mont Saint-Jean, au nord-ouest de Fouday, et de tenir coûte que coûte, il y arrête l'attaque du 121ème Régiment de réserve wurtembergeois, débouchant de la ligne Fraize Champ du Feu. Le 21, Il y maintient encore cette unité et concourt, avec le 54° R.A.C., à arrêter et refouler la progression allemande vers la vallée de la Bruche, par Bellefosse, les Mauvais Champs et Wildersbach. Dans ce combat, le 1er Bataillon fait 20 prisonniers, qui sont les premiers de la Division. Le 22 août, le Bataillon Borne est enlevé en auto et engagé à Germaingoutte, pour coopérer à la prise du Col de Sainte-Marie, qui a été abandonné. Le 23, le Col est pris, mais non soutenu, le Bataillon, après avoir tenu le 24, est obligé de se replier sur Ban de Laveline. II rejoint le Régiment le 28, à Saint-Dié.
Les 2° et 3° Bataillons reçoivent le baptême du feu le 15 août, à l'attaque des avancées de Sainte-Croix-au-Mines, qui est pris le 16 août. Puis, les 17 et 18 août, par Bourg-Bruche et Rothau, les deux Bataillons marchent en direction de Schirmeck. Le 20, l'ordre est de se tenir sur la défensive; à partir de cette date, le Régiment ne fera plus que du combat en retraite jusqu'au 28 août. Le Bataillon Collet défend Rothau avec la dernière énergie et ne se replie que par ordre sur Bourg-Bruche (le 22).
Le 3° Bataillon, primitivement destiné à défendre Fouday, reçoit l'ordre, entre temps, de reprendre l'offensive en direction de Rothau, en liaison avec un détachement du 99° R.I. Attaqué et entouré à la Claquette par des forces supérieures, le Bataillon Lanusse se défend avec opiniâtreté, causant des pertes énormes à l'ennemi, se dégageant par des charges à la baïonnette. L'ennemi, appuyé par une artillerie sérieuse, vient cependant à bout du courage de nos soldats, qui doivent céder la position. Les 9°, 11° et 12° Compagnies sont particulièrement éprouvées, presque touts les officiers sont tués ou blessés, d'autres sont faits prisonniers grièvement blessés, et ce sont des débris du 3° Bataillon qui se rassemblent à Bourg-Bruche.
Du 24 au 28 août, le Régiment se retire en combattant vers Saint-Dié, période marquée par la défense du Col de Robache, pris et repris, successivement.
Le 28 août, le Régiment est rassemblé à Taintrux, où il reçoit 1.300 hommes venus du Dépôt.
Cette période du 15 au 28 août a
été excessivement dure pour toutes les
unités; on s'est battu sans arrêt ; les hommes ont
vécu de pommes de terre arrachées dans les
champs, soumis constamment au tir démoralisant de
l'artillerie lourde allemande. Malgré tout, le moral est
resté élevé, et le 28 les unités
sont prêtes à reprendre I'offensive.
Le 28, en effet, l'ordre d'offensive est donné. Le Col
d'Anozel, puis le village de Saulcy, sont enlevés. Une
violente contre-attaque fait cependant subir au Régiment
des pertes cruelles dans ce village. Le 30, le 3° Bataillon
reste à Saulcy, tandis que les 2e et 1er (Capitaine
Mangin) continuent à défendre le Col d'Anozel, se
livrant à des attaques partielles incessantes contre les
lisières du Kemberg.
Du 1er au 10 septembre, le Régiment s'organise sur place, défensivement, au Col d'Anozel, où il creuse des tranchées et repousse victorieusement plusieurs attaques ennemies, et attaque lui-même au Col de Lense de Grandrupt (1er Bataillon).
Le 12 septembre, l'ennemi bat subitement en retraite, et le Régiment rentre dans Saint-Dié ; le 13 à Autrey, il est le 14 à Domptail, où il reste jusqu'au 17. Parti le 17 pour Charmes, par Marivillers (18), le 30° embarque à Charmes le 19 et débarque le 20 à Saint-Just-en-Chaussée (Oise), sous une pluie torrentielle.
La campagne des Vosges est terminée; le Régiment s'est brillamment comporté, attaquant avec succès et défendant avec la derni&eagrave;re énergie le terrain qui lui était confié. Il a perdu presque tous ses cadres de l'active et de la réserve présents le 4 août à Annecy. L'esprit du Régiment demeure cependant, et la période qui va suivre sera aussi brillante.
LA COURSE À LA MER ET LES SECTEURS DE LA SOMME (septembre 1914 - juillet 1915)
Après de dures étapes sur Montdidier, Etelfay sur Foucaucourt, le Régiment est engagé le 23 septembre face à Foucaucourt (1er Bataillon). Le 24, les 2e et 3e Bataillons, après avoir passé la nuit à Framervillle, sont engagés contre le village d'Herleville, fortement tenu par l'ennemi. L'attaque se déclenche dans l'après-midi : les deux Bataillons en tirailleurs, chantant la Marseillaise, se portent à l'assaut du village, entraînés pan les clairons sonnant la charge. (Les pertes - cruelles pourtant - n'arrêtent pas l'élan des assaillants. Un dur combat s'engage. Les Allemands, abrités derrière les murs de clôture des jardins, résistent par le feu d'une manière extraordinairement violente, et le combat se terminera victorieusement au cours de la nuit, où nous occupons et organisons le village.
Pendant ce temps, le 1er Bataillon, engagé face à Foucaucourt, subit de telles pertes que les rares survivants sont versés aux deux autres Bataillons du Régiment.
Le 25 voit se dérouler de nouvelles attaques qui inaugurent une nouvelle période.
C'est le début de la course à la mer: après de dures journées de combats à Foucaucourt, Herleville, Proyart, la Division doit pousser plus au Nord jusqu'à la Somme. Le 26 septembre le Régiment, qui est à l'extrême-gauche de la D.I., arrive à Cappy, réduit à deux petits Bataillons. Exténué par plusieurs jours de combats incessants et par une forte étape, il relève le 27 septembre au soir, à Frise et au sud d'Eclusier, des éléments du 20e C.A. (79e R.I.), qui doivent pousser au nord de la Somme. Le soir même de la relève, la 7e Compagnie, qui occupe le bois 3 bis, est attaquée par l'ennemi ; elle subit des pertes sévères, mais conserve ses positions. Le 4 octobre le Régiment, laissant seulement trois Compagies pour tenir les secteurs de Frise et d'Eclusier, se lance à l'attaque de Dompierre. Le village n'est pas repris, mais notre ligne est portée en avant de la Sucrerie, après plusieurs jours de durs combats qui nous font ainsi gagner la majeure partie du terrain convoité.
Un sérieux renfort vient heureusement d'arriver : 1.200 territoriaux bien encadrés vont permettre de combler les vides et bientôt (12 octobre) de reformer le 1er Bataillon. Le secteur du Régiment s'étend alors de la Sucrerie de Dompierre à la presqu'île de Frise -- à droite, en avant de Fontaine-Les-Cappy, se trouve le 99° -- à gauche sur la rive droite de la Somme, le Régiment se met en liaison à Vaux et Curlu avec un Régiment du 20e Corps. Il faut organiser ces positions, creuser des tranchées et des boyaux, construire des abris. Il faut aussi donner à l'ennemi l'impression que nous sommes forts : chaque soir des patrouilles vont rôder jusqu'à proximité des tranchées ennemies. Avec quel coeur nos braves territoriaux se donnent à leur tâche !
Qu'il s'agisse de monter la garde au créneau ou de manoeuvrer la pioche ou la pelle, qu'il s'agisse d'aller taquiner le Boche ou de placer un réseau en avant de la tranchée, on peut compter sur eux tout aussi bien que sur les Braves qui ont déjà fait leurs preuves dans les Vosges. Dans les sous-secteurs de Dompierre et du Ceutre, la vie est rude; il faut veiller une moitié de la nuit, et travailler pendant une partie de l'autre moitié. Le travail est difficile, car le matériel manque et les outils sont rares. Heureux celui qui pourra dénicher une pioche ou une pelle ! - elle fera le plaisir de la section. Heureux celui qui pourra mettre la main sur une planche ou une caisse ! -- Elle sera, n'en doutez pas, merveilleusement utilisée. Les abris ne sont encore que de petites niches creusées dans le sol ; c'est un riche abri que celui d'une tranchée couverte avec des branchages et de la terre !
Dans le secteur de Frise, la vie est plus agréable, les habitants ne sont pas tous partis, et l'on peut s'organiser plus facilement, Le ravitaillement est aussi plus facile, et la volaille permet parfois d'améliorer le Menu ; les unités en réserve peuvent même s'offrir le luxe de manger et de dormir sous un toit.
Vers le 16 octobre, le 2e Bataillon est mis en réserve de D.I., remplacé par des territoriaux et des chasseurs. Le 18 octobre, l'ennemi tente de s'emparer de Frise ; une énergique contre-attaque du 1er Bataillon, rétablit la situation. Nos positions sont réoccupées, à l'exception du Calvaire et de la Garenne de Karpezat, positions trop avancées de notre ligne. Enfin, le 25 octobre, les Allemands occupent, après une courte mais sérieuse préparation, le Château de la Grenouillère, que tenait un de nos postes avancés. La 4e Compagnie se couvre de gloire en reprenant le Château, qu'elle ne peut cependant conserver.
Pendant ce temps, le 2e Bataillon prend part à l'attaque victorieuse du Quesnoy en Santerre (30 octobre), où la 7e Compagnie se fait particulièrement remarquer, arrêtant cinq contre-attaques ennemies et nous permettant, par son énergique résistance, de conserver cette importante position.
Le 28 novembre, trois Compagnies, les 4e, 8e et 12e, sous le commandement du Commandant du 1er Bataillon (Commandant Lagarde), sont appelées à Fay pour prendre part, avec d'autres troupes, à l'attaque du village. Le détachement donne courageusement l'assaut, mais ses efforts se brisent sur cette position admirablement organisée, qu'une préparation d'artillerie trop faible n'a pu démolir.
Toutes ces opérations locales, sans visées bien hautes, donnent du moins l'assurance que la troupe est demeurée ardente malgré tout, et que jeunes et vieux forment bien un tout homogène.
Au commencement de décembre, devant Dompierre, le génie commence ses travaux de mines. Nos lignes ont été portées en avant, à proximité des lignes ennemies, à distance d'assaut. Il s'agit de faire sauter les tranchées ennemies pour s'emparer de la position. La première mine française explose le 15 décembre : un P.C., plus de 40 hommes sont ensevelis sous les ruines de la première maison du village de Dompierre. C'est le début de la lutte difficile et meurtrière que nos mineurs vont livrer pendant de longs mois aux pionniers allemands, et au cours de laquelle le malheureux fantassin sera bien souvent la victime.
L'hiver s'annonce très froid. La soupe apportée des villages de repos -- Cappy, Eclusier, Frise -- arrive froide à la tranchée -- il faut s'ingénier pour installer des poêles. La Sucrerie de Dompierre et le moulin de Fargny fourniront le charbon nécessaire. Allons ! l'hiver peut venir, on tiendra ! Le poilu pourra, pendant que ses camarades veillent, raconter des histoires et fumer sa pipe au coin du feu, comme en famille. La cagna, plus perfectionnée que celle du début , la cagna au toit de rondins, sera son petit "chez lui" : ce sera sa salle à manger, sa chambre à coucher; on y fera la manille le jour, pendant les heures de repos; on y réveillonnera pour la Noël, et l'on s'y réunira le premier janvier pour sabler le champagne traditionnel...
HISTORIQUE DU 140ème REGIMENT D'INFANTERIE Années 1914 - 1918 Le 140e RI, dont la principale
garnison est Grenoble, Ses effectifs en 1914: Officiers 55 |
1914 |
LA MOBILISATION ET LE DÉPART EN CAMPAGNE
La mobilisation générale met le régiment sur le pied de guerre, le 2 août 1914, à Grenoble. Le 1er bataillon, parti pour les Alpes, a été rappelé le 28 juillet.
Le régiment est constitué de trois bataillons à quatre compagnies de 250 hommes et d'une C. H. R. forte de 200 hommes. Une section de mitrailleuses S. E. est rattachée à chacun des bataillons. Ses effectifs sont formés en grande majorité par des montagnards de la Savoie et du Dauphiné. Le reste se partage à peu près également entre le Midi et la région lyonnaise. Au milieu des manifestations patriotiques de la foule, le régiment embarque en gare de Grenoble le 6 août 1914. Ses bataillons sont commandés respectivement par
Les trains fleuris s'ébranlent successivement et chacun embrasse d'un long regard la ville hospitalière, la campagne riante, que plus d'un, hélas ! ne reverra plus. Le régiment débarque le 8 à Bruyères, au pied des Vosges, après une journée et demie à peine de voyage. La 27e D. I., sous le commandement du général BARET, se rassemble tout entière dans cette zone.
CAMPAGNE DES VOSGES (août - septembre 1914)
LE PAYS. - Parti d'une région montagneuse, le régiment retrouve d'autres montagnes. Mais celles-ci ne ressemblent en rien aux Alpes. Elles se présentent sous des formes trapues et s'élèvent sur de larges bases d'un seul jet, s'achevant en cône, en pyramide, en dos allongé et parfois, quoique assez rarement, en coupoles. Les vallées dans lesquelles le 140e va s'engager ne sont que des sillons étroits et profonds.
Irrégulières et raboteuses, elles serpentent péniblement sur le flanc ouest du massif., Des cols les font communiquer avec les riantes vallées du versant alsacien. La forêt est le vêtement naturel de la contrée. Sous le manteau sombre des sapins diapré par le clair feuillage des hêtres, les ondulations des montagnes sont enveloppées et comme amorties. Dans le fond des vallées s'étendent les prés et les « faings », assemblages de tourbières et d'étangs
L'OFFENSIVE EN ALSACE.
Dès le 11, le régiment s'ébranlera dans la direction des cols. La journée du 9 s'est passée sans incident. Les nouvelles apportées sont excellentes; on annonce entre autres la prise de Mulhouse. Pendant la journée du 10, le régiment entend le canon, et trois jours après, il sera engagé pour la première fais au col des Bas-Cenelles. La division a déjà pris contact avec l'ennemi, et à Plainfaing, les soldats du 140e voient les premiers blessés, des hommes du 75e, qui redescendent du col du Bonhomme.
Dans la nuit du 12 au 13, les 2e et 3e bataillons se portent au col des Bas-Genelles et au petit jour ils passent la frontière. Des tombes fraîchement creusées témoignent que la guerre a commencé. Le poteau-frontière encore debout est jeté à terre. Le régiment a mis le pied en Alsace et dévale sur le versant est du col. Mais l'ennemi n'est pas loin. Dès que les premiers éléments du 2e bataillon sortent des bois qui couvrent leur marche d'approche, un feu nourri les accueille.
C'est le baptême du feu et les premières pertes du régiment. Les Allemands occupent le cabaret placé au sommet du col; des mitrailleuses le garnissent et le drapeau de la Croix- Rouge flotte sur le toit. Le 3e bataillon est en réserve derrière le 2e bataillon et tous deux restent sur place pendant la nuit.
La journée du 14 se passe sans incidents notables. L'artillerie de campagne allemande lance quelques obus de 77 qui font peu de mal; le 75 lui répond. Une pièce de 65 de montagne démolit le cabaret. Sous une pluie battante, les unités passent une seconde nuit sur la même position.
Le 15 au matin, l'attaque de la hauteur en face des Bas-Genelles est décidée. Dès 5 heures, nos canons tonnent; après deux heures de bombardement, le 75e et le 52e R. I. débouchent à droite du 140e par le col de Bonhomme et tournent l'ennemi. Les 2e et 3e bataillons attaquent la position de face, l'enlèvent et progressent dans la direction de Pressoire. Avant l'action, au cours d'une patrouille, les sergents GUILLAUD et MUTTE, accompagnés de quatre hommes, ramènent huit prisonniers, les premiers faits par le régiment.
L'attaque française surprend le 171e régiment allemand, qui laisse entre nos mains un matériel considérable. La table du colonel est encore servie : salade, canard, vin vieux la garnissent. Des tranchées très bien faites ont été établies par l'ennemi depuis une quinzaine de jours. Des baraquements ont déjà été construits et des réchauds à alcool traînent çà et là. Une nouvelle nuit est passée sur place avec un temps plus mauvais encore.
Pendant la journée du 16, le 1er bataillon tient la position conquise, tandis que le 3e bataillon se rend à Colroy-la-Grande. L'ennemi ne dit plus mot; il semble avoir complètement disparu. Pendant ce temps, le 1er bataillon, dès le 13, a été engagé au col de Sainte-Marie-aux-Mines où il a passé la frontière, et jusqu'au 15, est resté sur ses emplacements. Le 17 au matin, le régiment dévale dans la vallée de Sainte-Marie, et à 22 heures, les 1er et 3e bataillons entrent dans Sainte-Marie. Le lendemain, vers 17 heures, le 2e bataillon y fait son entrée musique en tête.
Le régiment tient solidement la vallée de Sainte- Marie-aux-Mines jusqu'à la hauteur de Sainte- Croix-aux-Mines, mais dans la nuit du 19 au 20 août, des ordres supérieurs l'appellent dans la région de Saales. Les 1er et 3e bataillons disponibles, se mettent de suite en route. Le 20, à partir du milieu de la journée, commence la relève du 2e bataillon par le 109e R. I. T.
Au moment de la relève, les Allemands attaquent; Sainte-Croix-aux-Mines est perdu; la 7e compagnie fait face à l'ennemi et mène un dur combat en retraite jusqu'à 5 heures du soir, heure à laquelle le général BARET ramène le 109e R. I. T. à l'attaque du village. En avant du réseau d'avant-postes couvrant Sainte-Croix se trouvait détaché un poste d'observation dominant la route conduisant chez l'ennemi. Trois hommes seulement l'occupent. A un moment donné, le gros des troupes d'attaque ennemies s'amène en colonnes par quatre sur ladite route.
Le poste d'observation prévient les avant-postes et demeure en place. L'un des observateurs, le soldat MERLE, tireur d'élite titulaire de l'épinglette, prépare son fusil. Il laisse approcher la tête de la colonne à moins de 400 mètres, puis il commence un feu ajusté et précis. A chaque coup un Allemand tombe. Ses camarades lui passent les fusils approvisionnés et il tire ainsi 24 paquets de cartouches. Mais les ennemis ont vu le poste; des patrouilles cherchent à l'encercler et à l'aborder. Sous une vive fusillade, les trois hommes se replient pour rejoindre leur compagnie. Le soldat MERLE, fou de joie, dit à ses camarades : « Les Boches peuvent bien me tuer maintenant, j'en ai tué ma part. »
LES ENGAGEMENTS AU COL DE SAALES.
Par Wissembach, le col de Saales et Saales, les 1er et 3e bataillons se rendent à Saulxures le 21 au matin; le jour même, ils enlèvent victorieusement la position de Fréconrupt (col de Salm).Au cours de cette journée, le sous-lieutenant GUY DE LA FAY, sorti de Saint-Cyr quinze jours plus tôt, reçoit du commandant du bataillon l'ordre de fouiller un bois âprement défendu depuis le matin et qu'un renseignement récent donne comme inoccupé. Comme il était à craindre qu'un autre bataillon n'ouvre le feu en voyant des silhouettes sur la crête, il lui avait été recommandé, au moment où il atteindrait la crête, de faire enlever par un de ses hommes le couvre-képi bleu recouvrant les képis rouges et de le faire agiter pour éviter toute méprise. Il enlève la coiffe de son propre képi, emprunte le fusil de l'un de ses soldats et alors qu'il est en train de faire lui-même le signal convenu, une section ennemie dissimulée bondit hors du bois à une cinquantaine de mètres. Dévalant la pente juste assez pour permettre le tir des mitrailleuses, il prend position avec ses patrouilleurs à l'abri de quelques broussailles et fait le coup de feu en attendant que les mitrailleuses aient fait leur oeuvre. Quelques minutes après, il a réoccupé la crête et a la satisfaction de compter 17 cadavres ennemis couchés les uns sur les autres.
Le 22, tout le régiment est échelonné sur la crête des Vosges. Le 1er bataillon tient les avant- postes à Hautes Loges (le Kiosque). Le 3e bataillon se replie dans la direction du col du Hanz laissant deux compagnies (9e et 10e ) pour couvrir la route de Schirmeck au col du Hanz par le Sanatorium des « Quellen » et prend les avant-postes dans cette région. Quant au 2e bataillon, après avoir gagné le col de Saales dans la nuit du 20 au 21, il effectue différents déplacements autour de Salm et de Bourg-Bruche et passe la journée du 22 sur la ligne de feu (Champ des Genêts et Klein-Allan).
Le 24, le 1er bataillon passe à Petite-Raon et se rend le 25 à La Chapelle. Au cours de ce mouvement, les 3e et 4e compagnies, après avoir franchi successivement le Rabodeau, le torrent de Ravines, la ligne des hauteurs le séparant de la vallée de la Plaine, avaient gagné La Trouche quand elles se heurtèrent à un ennemi bien supérieur en nombre. Elles durent exécuter à, travers des bois touffus une retraite difficile en escaladant des pentes abruptes.
Le capitaine DE VERNIZY (3e compagnie) "ait atteint le sommet de la crête et se trouvait avoir échappé à l'ennemi quand il apprend que quelques-uns de ses hommes gisent blessés à mi-pente. Il se porte aussitôt de leur côté pour les faire relever sans se soucier de l'ennemi embusqué dans les taillis à une cinquantaine de mètres. Il tombe foudroyé sous une grêle de balles. Quelques instants auparavant, il disait le plus simplement du monde à l'un de ses camarades « Aujourd'hui rien à boulotter, c'est le jour de se faire tuer. Le 24, le 2e bataillon, après avoir passé par Bannay, Bruche et Saales, vient s'installer au plateau de Saulxures en position d'attente sous le bombardement. Les Allemands attaquent sérieusement. Le commandant MALHERBE DE MARAIMBois est blessé.
Le 25, le bataillon passe la journée à Moyen-moutier qu'il a rejoint par Chatas. Le soir même, il remonte sur la ligne de feu dans le bois du Feys entre Saint-Blaise et Moyenmoutier. De là, il aperçoit Raon-l'Étape qui est en feu. Ce même jour, le 1er bataillon est chargé d'exécuter une reconnaissance offensive sur la scierie de Busegenoux et le hameau de La Trouche, mais, parvenu aux lisières de cette localité, il se heurte à un ennemi très supérieur en nombre et, le 25 au soir, il vient se retrancher sur la rive gauche du ruisseau de Ravines entre la scierie et Saint-Pragel.
Le 3e bataillon, qui, le 24, a mené un combat d'arrière-garde du col du Hanz à La Chapelle, est venu s'établir sur les hauteurs au sud du Rabodeau. Des engagements sérieux ont lieu le 25 autour de l'usine à gaz de Moyen-moutier. Le colonel MAILLOT, appelé le 26 à un autre emploi, est remplacé à la tête du régiment par le lieutenant-colonel CLÉMENT, venu de l'E-M. de la 13e D.I.
LA RETRAITE.
Le 26, l'ennemi produit un gros effort. Le 2e bataillon, qui est venu s'établir pendant la nuit à 50 mètres de l'ennemi, commence, dès l'aube, la fusillade à bout portant. Le capitaine DE CHAMPOZOU est tué; les pertes sont sérieuses. Les 10e et 12e compagnies continuent à tenir les avant-postes sur la route de Moyen-moutier à Senones; les autres compagnies se replient sur Saint-Michel-sur-Meurthe.Le 27, le régiment tout entier reçoit l'ordre de se replier d'abord derrière le Rabodeau, puis derrière la Meurthe. Le 2e bataillon, qui a reçu l'ordre de retraite le 26 au soir, arrive le lendemain matin à Saint-Michel-sur-Meurthe, après avoir mené de durs combats aux abords de l'usine à gaz de Moyen-moutier. Attaqué de trois côtés, ouest, nord et est, le régiment parvient à se frayer un passage et gagne Saint-Michel-sur-Meurthe, à l'exception des 10e et 12e compagnies qui, cernées dans le Paire, doivent capituler le 30, après avoir vainement cherché à percer les lignes sous la conduite du capitaine BLANDIN, qui devait mourir en captivité à l'hôpital d'Ingolstadt (Bavière). (Seule une section de la 12e parvient à s'échapper.) Deux des prisonniers, DENANTES et CHEVALIER, à qui la captivité pesait, réussirent à s'évader, l'un en 1916, l'autre en 1917.
Blessé dans la matinée du 27, le lieutenant-colonel CLÉMENT est évacué momentanément et le commandant POUSSEL, blessé le 15 août 1914 à Sainte-Marie-aux-Mines, rentrant d'évacuation, prend le commandement du régiment. Les 27 et 28 août, le régiment essaie de se réorganiser tout en combattant autour de Saint- Michel-sur-Meurthe et de Bréhimont. Il est en. liaison vers Herbaville avec la 28e D. I., engagée vers Saint-Dié.
Le 29, vers 9 heures du matin, le régiment est attaqué par cinq régiments appuyés par une puissante artillerie. Après trois heures de luttes acharnées, il doit se replier, l'ennemi le serrant de près. Saint-Michel, tête de pont sur la Meurthe, constitue une position particulièrement importante, disputée âprement depuis deux jours; sous la pression croissante de l'ennemi, nos troupes doivent évacuer cette localité, mais notre commandement, afin de ralentir l'avance des ennemis, décide de défendre le passage de la Meurthe.
Pour couvrir la retraite, la 2e compagnie est chargée de défendre le pont de Saint-Michel, et là se place un des faits d'armes les plus héroïques de la campagne. La 3e section de cette compagnie, commandée par l'adjudant CLÉMENT, est chargée de cette mission glorieuse, certes, mais combien difficile.
Vers 10 heures, nos arrière-gardes quittent les rives de la Meurthe et la section CLÉMENT reste seule au contact de l'ennemi. Les premières patrouilles allemandes qui se présentent sont facilement dispersées à coups de fusil. Mais l'ennemi continue à affluer. Sur la gauche, sa marche plus rapide le porte aux premières maisons de Saint-Michel-sur-Meurthe et déjà des mitrailleuses tirent dans la direction du pont, presque dans le dos des vaillants défenseurs. L'ennemi en nombreuses colonnes dévale des collines situées au nord-est du village sur la rive droite de la rivière et ses mitrailleuses croisent leur feu avec celles du village.
D'instant en instant, la situation du petit groupe devient plus critique. Vers 13 heures, une autre section de la 2e compagnie lui est envoyée en renfort, mais prise sous un terrible barrage de mitrailleuses et d'artillerie, elle ne peut dépasser la voie ferrée. Un coureur est envoyé pour porter aux héroïques exécutants de la consigne un ordre de repli. Celui-ci n'est pas exécuté, le coureur n'a pas dû arriver. Un deuxième et un troisième coureur, dont on n'aura plus de nouvelles, sont envoyés sans plus de succès. Et les gardiens du pont continuent à tirer sans relâche sur les assaillants, et parmi la rafale de balles et de shrapnells qui s'abattent sur eux, quelques projectiles causent de temps à autre un nouveau vide. Bientôt, suprême cruauté du destin, notre artillerie vient mêler ses coups à ceux de l'artillerie ennemie, car elle tire sur le pont pour opposer aux Allemands un suprême obstacle.
Le combat cesse vers 16 heures, mais presque tous les vaillants défenseurs sont morts. L'adjudant CLÉMENT tombe un des derniers. Nos troupes, regroupées sur les pentes de la Croix Idoux, peuvent le voir se lever, son sabre dressé, et retomber presque aussitôt percé de coups. Trois soldats seulement peuvent rejoindre la compagnie en traversant des marais et en risquant cent fois leur vie.
L'un d'eux, le caporal FAURE, a reçu deux balles dans la face. Dix jours plus tard, nos troupes, à la poursuite de l'ennemi, repassaient le pont de Saint-Michel- sur-Meurthe et nos soldats victorieux pouvaient, en défilant devant des tombes récemment fermées, rendre les suprêmes honneurs aux braves qui, esclaves du devoir, avaient si généreusement sacrifié leur vie.
Pendant que se déroulent les péripéties de cette lutte dramatique, les 6e et 8e compagnies, cernées dans Bréhimont, y étaient détruites ou faites prisonnières. La 7e compagnie, pour les dégager, reçoit l'ordre de marcher sur Bréhimont par Sanceray; un détachement de renfort se joint à elle et tout le groupe tombe sous le feu de l'ennemi dans la plaine de Nom-patelize; elle subit de lourdes pertes et se replie le soir sur la Croix Idoux par La Burgonce. 80 hommes restent sur 250. La 5e compagnie s'établit le 29 au soir autour du Haut-Jacques.
LA RÉSISTANCE ACHARNÉE AUTOUR DE LA CROIX IDOUX.
Le 30, les débris du régiment s'organisent autour de la Croix Idoux, aux abords de Sauceray des Baraques, dans les bois des Hauts-Champs et de la Madeleine. Le 31 août, le lieutenant-colonel CLÉMENT, de retour, active la réorganisation. Du 1er au 10 septembre, une série de combats acharnés vont se livrer pour la possession de la Croix Idoux. Pendant la journée du ter, le 99e couvre le 140e , qui reçoit des renforts et souffle un peu.
Le 2 se passe en quelques escarmouches du fait de l'activité des patrouilles ennemies. Vers 8 heures, la 9e compagnie, commandée par le lieutenant CROIBIER, surprend une reconnaissance d'une quarantaine d'hommes commandée par un officier. Le lieutenant et un homme sont faits prisonniers, les autres sont tués. Vers 10 heures, elle a des escarmouches avec l'avant-garde d'un bataillon ennemi.
Les troupes sont prévenues qu'elles vont être attaquées sérieusement et qu'il faudra tenir à tout prix. Le 3, l'attaque allemande, puissante, se déclenche; les nôtres tiennent bon et conservent leurs positions; sept attaques allemandes sont repoussées sur le front des 2e et 3e bataillons, où l'on arrive jusqu'au corps à corps. Au cours de cette journée, 7 officiers sont tués. Une compagnie, la 9e, perd les trois quarts de son effectif (tués ou blessés). Dans la journée du 5, l'ennemi a le dessus; la Croix Idoux, perdue dans cette journée, est reprise le 6, reperdue le 7 et enfin reconquise le 10.
Le 7 septembre, vers 8 heures, la position de la Croix Idoux étant tombée aux mains de l'ennemi, des soldats sont cernés et faits prisonniers. Deux d'entre eux, GUÉTAT (Augustin) et PERRIN (Jules), bien qu'étant complètement environnés, ne songent pas un seul instant à se rendre. Ils passent toute la journée dissimulés au milieu des broussailles, frôlés à tout instant par les soldats ennemis. Dès la nuit, rampant à travers les fougères, ils se dirigent vers nos positions, sont assez heureux pour traverser la ligne, pourtant dense, des tirailleurs ennemis, et rejoignent leur unité le 8 au matin, rapportant des renseignements précieux.
Les contre-attaques exécutées dans la journée du 8 par le Haut-Jacques sont meurtrières et ne donnent aucun résultat positif. Cette même journée, le 1er bataillon se regroupe à Rouges- Eaux; le 2e bataillon, relevé le 9, se rend à Maillefaing. Quant au 3e bataillon, il continue à tenir tête à l'ennemi jusqu'au 10 autour du Haut-Jacques et de la Croix Idoux.
A LA POURSUITE DE L'ENNEMI.
Ce jour-là, l'ennemi se replie. Lancé à sa poursuite, le régiment est dirigé sur Moyenmoutier, qu'il atteint vers midi. Dans la soirée, le 2e bataillon est chargé d'attaquer Senones qu'il trouve inoccupé. Le 11, les 1er et 2e bataillons viennent cantonner à La Burgonce. Dans la nuit du 12 au 13, le régiment est à Denipaire.
ENGAGEMENT DU RÉGIMENT EN LORRAINE.
Rappelé plus à l'ouest, il gagne la région de Rambervillers. Le 1er bataillon, poussé en avant, atteint les lisières de Blâmont au cours d'une reconnaissance.
LA COURSE A LA MER
Le régiment a été relevé par une division de réserve et, devenu disponible, s'en va embarquer à Thaon-les-Vosges dans la journée du 19. Le 21, il débarque à Estrées-Saint-Denis. De là, le régiment va gagner le Santerre.
LE PAYS. - L'impression première qui vous saisit en arrivant dans ce pays est une impression de vide. Sur des croupes larges et molles, où le relief n'est arrêté par aucune tranche plus résistante, la rareté des formes en saillie, des arbres, de l'eau, des maisons, supprime tout ce qui distrait et égaie l'oeil. La population se groupe dans des villages régulièrement répartis sur les croupes légèrement argileuses; nombreux, à peine distants de 3 kilomètres les uns des autres, ils sont entourés d'arbres et de vergers, semblables en été à des oasis de verdure entre les champs jaunis.
ENGAGEMENT DEVANT CHAULNES.
Après deux jours de repos, le régiment est appelé à prendre part à la course à la mer. Le 22 septembre, tout le régiment est à Rollot. Le 24, le 1er bataillon gagne Rosières et se dirige sur Lihons, le 2e bataillon atteint Hiencourt-le- Grand. Le 3e bataillon, parti de Rosièrse, pousse au nord de Chaumes jusqu'à Vermandovillers. Le régiment a pris contact avec l'ennemi.
LA RETRAITE SUR LIHONS.
Le 25 septembre, au matin, le régiment, avant-garde du 14e C. A., est pris comme dans un étau entre le IIe corps d'armée bavarois et le XXIe C. A. prussien. Le 3e bataillon, après avoir combattu en avant de Vermandovillers, est contraint de battre en retraite vers la route de Lihons-Chaulnes et arrive au château de Chaulnes, vers 18 heures. Après avoir passé la nuit sur place, le bataillon est surpris vers 3 heures du matin et contraint de se replier vers la gare; aux abords de celle-ci s'engagent de sanglants combats à l'issue desquels le bataillon bat en retraite, le long de la voie ferrée jusqu'à Lihons. Le 2e bataillon, qui a poussé au delà de Chaulnes jusqu'à Hiencourt et Puisieux, pressé fortement par l'ennemi, est contraint, lui aussi, de se replier sur Lihons et subit, au cours de ce repli, de lourdes pertes.
25 novembre 1914 - janvier 1915
Ce qui reste du régiment, le 25 au soir, est regroupé autour de Lihons auquel on s’agrippe. Le 3e bataillon est dissous et ce qui reste de ses compagnies sert à renforcer les compagnies du 2e bataillon dont certaines, comme la 6e, ont presque entièrement fondu. Le régiment va défendre âprement le terrain dont il ne cédera pas un seul pouce en dépit des efforts répétés des Allemands.
Lihons constitue une position avancée et a pour l’ennemi le grave inconvénient de rendre inutilisable l’important noeud de voies ferrées de la gare de Chaulnes; aussi ne néglige-t-il aucun effort pour s’en emparer.
Pendant la dernière semaine de septembre et la première quinzaine d’octobre, bombardements violents et attaques d’infanterie se succèdent sans interruption. Efforts inutiles, Lihons reste inviolable.
Le 3e bataillon, reformé, le 14 octobre, sous le commandement du capitaine CROIBIER, s’installe dans le secteur de Chaulnes-sud.
L’AFFAIRE DU QUESNOY-EN-SANTERRE
Le 22, le régiment est relevé et s’en va au repos à Rosières où il reste jusqu’au 29. L’ennemi tente de rompre notre front plus au sud; aussi, dès le 29, les 1er et 3e bataillons sont engagés à l’est de Bouchoir pour enlever le saillant ouest du Quesnoy-en-Santerre. Ces deux bataillons progressent de 700 à 800 mètres et sont arrêtés à la tombée de la nuit à 400 ou 500 mètres de la lisière du village. L’attaque est reprise le 30, le 2e bataillon venant appuyer le mouvement des deux autres et sous l’énergique impulsion du commandant POUSSEL, le régiment tout entier prend une part prépondérante à l’enlèvement de cette position redoutable, mettant définitivement fin à l’avance ennemie que les Allemands appelaient déjà la " Percée de Roye " .
Au cours des contre-attaques menées avec fureur par l’ennemi, dans la journée du 1er novembre, une poche se fit un instant dans notre front. L’ennemi chercha aussitôt à l’exploiter et à déboucher du saillant est du Quesnoy. Le régiment n’ayant plus aucune réserve, le commandant POUSSEL, le commandant DESTEZET et le capitaine CROIBIER durent prendre eux-mêmes un fusil et faire le coup de feu, en utilisant un rouleau de cultivateur comme abri. Le lieutenant VELLOT, adjoint au colonel, eut l’idée de prendre un clairon et, rejoignant ces trois officiers, se mit à sonner la " charge " . Les Allemands, craignant de s’aventurer par une poche étroite sur une troupe fraîche, se replient sur leurs tranchées. Le capitaine CROIBIER fut blessé au cours de l’action. A la suite de ce brillant fait d’armes, deux commandants de bataillon sont cités à l’ordre de l’armée ainsi que deux commandants de compagnie de l’autre bataillon, et il est attribué au commandant POUSSEL, commandant alors le régiment, la belle citation suivante, à l’ordre de la 2e armée " Blessé au début de la campagne et revenu sur le front, a conduit, le 30 octobre, son régiment à l’attaque du Quesnoy-en-Santerre, avec une énergie et un entrain remarquables. A repoussé victorieusement, les jours suivants, plusieurs contre-attaques de l’ennemi, lui infligeant des pertes considérables et a subi pendant trois jours sans défaillance un bombardement d’une grande violence. "
La citation ci-dessus est une véritable citation de régiment, mais à cette époque, au 14e C.A., il n’était pas attribué de citation collective aux unités.
L’OCCUPATION DU SECTEUR DE LIHONS
L’attaque terminée, le régiment revient occuper le secteur de Lihons après avoir cantonné à Beaufort et Rosières. Le 7, il monte en ligne et tiendra ce secteur jusqu’au 28 mai 1915. Les différentes unités du régiment occupent successivement les différentes parties du secteur en avant de Lihons et d’Herleville avec des alternatives de repos à Rosières, Caix et Bayonvillers.
Le 3 décembre, le lieutenant-colonel GOUBEAU, que le régiment a vu à l’oeuvre devant Chaulnes comme commandant du 7e B. C. A., prend le commandement du régiment. Chef d’une haute valeur, il refera rapidement du régiment une unité d’élite qui, sous ses ordres, accomplira de belles choses.
Les Allemands conservent en face de nos lignes la cote 101 qui domine Lihons et leur sert d’observatoire. Une attaque brillamment menée par la Ire compagnie, sous le commandement du lieutenant SALANIÉ, nous la donne, le 18 décembre. L’ennemi, qui tient à la conserver, réussit à la reprendre, le 24 décembre, mais le lendemain, une contre-attaque vivement conduite par la 3e compagnie, que commande le capitaine BÉRENGER, nous la rend à nouveau. Les 1re et 3e compagnies, à la suite de cette action, sont citées à l’ordre de l’armée. " Le 18 décembre, sous les ordres du lieutenant SALANIÉ, la 1er compagnie s’est emparée, à la baïonnette, d’une tranchée allemande, faisant 55 prisonniers. Malgré un feu violent .d’artillerie et de nombreuses contre-attaques, a conservé le terrain conquis, faisant preuve, malgré les pertes éprouvées, d’une énergie et d’un courage remarquables. "
Quant à la 3e compagnie, " elle s’est bravement élancée à l’assaut de la position de la Briqueterie, près de Lihons, le 24 décembre 1914, au point du jour, et l’a enlevée brillamment " .
Ces citations sont signées par le général DE CASTELNAU, commandant la IIe armée. Des rencontres de patrouilles se produisent parfois; des coups de main sont tentés de part et d’autre; des pertes peu élevées dans l’ensemble se produisent de temps à autre. Le 2 avril, lors du coup de main français exécuté sur un petit poste ennemi de la cote 101, un soldat français est tué et son corps est resté sur le parapet de la tranchée ennemie, à plus de 100 mètres de nos lignes. Le soldat GIOVANETTI (Xavier), qui s’était déjà distingué lors du coup de main de la veille, s’offre pour aller ramasser le corps de son camarade en compagnie du soldat MERLE (François); il rampe jusqu’au cadavre, l’attache avec une corde et le ramène dans nos lignes, malgré le feu intense des tirailleurs ennemis.
1915 |
Le chef de bataillon DESTEZET qui commande le 2e bataillon, est grièvement blessé par une grenade à fusil dans un petit poste avancé de la cote 101, le 8 avril 1915.
Dans la nuit du 23 au 24 mai, un parti ennemi pénètre dans nos lignes, à la cote 101 assez faiblement occupée alors. Le caporal DAIMARD (Albert) se trouve tout à coup, à un tournant de la tranchée, en face d’une patrouille allemande, composée d’un officier et de deux hommes. A bout portant, il abat l’officier et l’homme qui le suivait immédiatement; l’autre . a été blessé, mais réussit cependant à s’échapper. Tous les autres patrouilleurs qui ont pénétré dans nos lignes à la suite des autres s’enfuient aussitôt.
L’AFFAIRE D’HÉBUTERNE
Le régiment continue à défendre âprement Lihons jusqu’au 27 mai 1915, jour où il embarque, en camions, à destination de l’Artois. Le 1er bataillon débarque dans la nuit, à Louvencourt et reste au repos jusqu’au 6 juin. Les deux autres bataillons cantonnent à Lealvillers et Harponville.
Du 8 au 15 juin, se déroulent les combats d’Hébuterne. A partir du 6, les différents bataillons viennent s’installer dans les places d’armes qui leur sont assignées. Vans la nuit du 7 au 8, les 11e compagnie (lieutenant CHARNAL) et 12e compagnie (lieutenant LACROIX) sont engagées et réussissent à porter les lignes jusqu’à la route d’Hébuterne à Serre; le 8, le 1er bataillon fait un bond en avant et s’installe en face de Serre; la 1re compagnie est très éprouvée; la 3e compagnie est engagée devant la ferme Toutvent. Dans la nuit du 10 au 11 juin, la 9e compagnie (capitaine CROIBIER) et la 10e compagnie (capitaine PERRIN), sous les ordres du commandant LONGIN et du commandant ARDOUIN du 75e (qui, cinq ans plus tard devait prendre le commandement du 140e , comme colonel), sont chargées d’attaquer l’ennemi, pour lui enlever les défenses qu’il maintient à l’est de la route de Serre à Hébuterne et d’établir des postes au delà de cette route. L’opération, vivement menée, réussit pleinement et vaut aux 9e et 10e compagnies les félicitations du chef de corps, par la voie de la décision. Le 2e bataillon passe la journée du 7 à Colincamps: le 8, il est en réserve dans des places d’armes; les 5e et 7e compagnies sont engagées en avant d’Hébuterne et, alors qu’elles sont en réserve dans un petit bois, subissent un violent bombardement qui leur occasionne des pertes sérieuses.
Après avoir été relevées par le 75e, elle se regroupent dans des places d’armes et montent en première ligne où elles passent les quatre derniers jours.
La compagnie de mitrailleuses de régiment,
formée le 18 mars 1915 et commandée par le
capitaine BAFFES, est à son premier engagement
sérieux. Le 7 juin, au matin, deux sections occupent les
tranchées, près de Colincamps, pendant que les
deux autres se portent avec le 1er bataillon vers
les premières lignes. Au cours du bombardement du 7
juin, la Ire section est complètement détruite (9
tués, 8 blessés).. Du 8 au. 16, toute la
compagnie est en ligne. Pendant cette période, le
régiment subit des bombardements
répétés et violents qui causent de fortes
pertes, le terrain ne comportant presque pars
d’organisation et pas du tout d’abris. Le
3e bataillon redescend, le 14 juin, à Gouin,
le 2e bataillon vient l’y rejoindre le 16; le
1er se rend à Coigneux, le 17. A partir du 14
juin, le régiment est relevé. L’attaque
d’Hébuterne est finie et le régiment va
regagner les emplacements qu’il a quittés trois
semaines auparavant. Dès le 10, des tranchées de
soutien, le colonel GOUBEAU avait adressé l’ordre
du jour suivant à son régiment
" Le général commandant la 21e D. I. a
fait transmettre ses félicitations aux troupes qui ont
pris part aux combats des 7, 8 et 9 juin devant
Hébuterne.
En les communiquant à mon régiment, j’ai
la fierté de reconnaître que chacun a fait son
devoir et je suis heureux d’adresser mes
félicitations les plus chaleureuses aux compagnies qui,
ont pris, part aux diverses actions, en particulier, aux 11e et
12e compagnies chargées de mener pendant plus
de vingt quatre heures un combat âpre et difficile et
qui, par l’appui apporté au régiment
frère, ont fait preuve de la plus belle vaillance et du
plus bel esprit de solidarité. a Parmi ceux qui se sont
particulièrement distingués au cours de ces rudes
combats, nous citerons le sergent BOUQUET (François), de
la 10e compagnie, cité en ces termes, à
l’ordre de l’armée. Jeune
sous-officier d’une bravoure admirable, ayant au plus
haut point le sentiment de l’honneur et du devoir.
Après s’être engagé dans la
cavalerie, s’est fait affecter à un
régiment d’infanterie pour aller plus rapidement
au feu. Volontaire pour toutes les missions périlleuses,
se faisant un point d’honneur d’être toujours
le premier au danger. Est tombé glorieusement dans la
nuit du 10 au 11 juin, à la tête de ses hommes
qu’il avait entraînés au delà des
retranchements ennemis qu’il venait d’enlever (7-11
juin, ferme Toutvent). "
Dès le 18, le régiment fait mouvement par T. M., puis à pied, pour Venir à Mézières où, le 30 juin, tout le régiment se trouve rassemblé.
Du 7 au 30 juillet, le régiment occupe à nouveau son ancien secteur. Le séjour en ligne est interrompu par une semaine de repos du 15 au 22, à Hangest-en-Santerre.
L’ATTAQUE DE CHAMPAGNE
1° La préparation.
LE RÉGIMENT VIENT EN CHAMPAGNE.- En fin juillet, tout le régiment est relevé et fait mouvement, à partir du 6 août, pour venir dans la région de Champagne. Il se trouve en pleine Pouilleuse, à proximité de la limite nord du camp de Châlons.
LE PAYS. - Des mamelons écrasés, de laides successions de guérets avec leurs nombreux rectangles de pins souffreteux l’annoncent. Dans, l’encadrement des prairies et des rideaux de peupliers, les rivières calmes drainent de larges vallées effacées. Mais, dans l’intervalle qui les sépare, rien que des plaines ondulées dont le petit cailloutis blanchâtre de tuf crayeux forme le sol. Un pli de terrain suffit pour marquer l’horizon, et quand, par hasard, on peut embrasser de grandes étendues, on éprouve un sentiment de vide, car les hommes ont l’air de manquer comme les eaux. Sur ces plateaux secs et stériles, les centres habités sont rares et très espacés; on les trouve généralement blottis dans les plis du terrain, là où le forage des puits était plus facile; ils seraient dissimulés aux regards sans la flèche de leur clocher émergeant au-dessus des croupes moutonnées, couronnées de pineraies. De grandes routes dont les rubans onduleux fuient devant les regards entre leurs bordures d’ormes ou d’érables chétifs. traversent ces solitudes.
LE SÉJOUR EN SECTEUR - Du 15 au 27 août, le régiment est en secteur à l’est de Perthes-les-Hurlus. Un bataillon est en première ligne, un autre en soutien, en avant de la Maison forestière, et le dernier en réserve à Cabanes-et-Puits. Tous les quatre jours, il y a relève entre les bataillons.
LES TRAVAUX PRÉPARATOIRES. - A partir de ce moment, le régiment participe aux travaux ‘préparatoires de la puissante attaque projetée. De jour et de nuit, suivant un roulement établi entre les unités, avec le maximum de moyens et d’efforts, on va travailler au creusement de boyaux de plusieurs kilomètres de longueur, à l’établissement des parallèles de départ, à la construction des abris et des places d’armes. Les travailleurs bivouaquent à Cabanes-et-Puits, à la cote 221 ou aux baraquements de Somme-Suippes.
LA MISE EN PLACE DES UNITÉS. - Pendant la nuit qui précède l’attaque, le régiment s’installe dans les places d’armes préparées près du village de Perthes.
Le 3e bataillon (commandant GISCLARD), qui est en réserve de secteur depuis la veille, occupe ses places d’armes à 2 heures.
Le 1er bataillon (commandant GARNIER), la compagnie M. R., la C. I - I. R. quittent le bivouac à l’est de Somme Suippes à 11 heures et, prenant au passage, à Cabanes-et-Puits, le 2e bataillon (commandant MURET), vont occuper entre 5 heures et 6 heures, leurs places d’armes respectives.
MISSION DU RÉGIMENT. - Dans l’offensive de la IIe armée, la mission du 140e R. I. est la suivante
Un bataillon (1er bataillon avec une section de mitrailleuses en réserve de brigade derrière le 75e R. I.)
Objectifs: les tranchées de la Vistule, entre la cote 201 et la butte de Tahure. Deux bataillons (2e et 3e bataillons), 3 sections de mitrailleuses renforcées par une demi-compagnie du génie et une section de canons de 58, sous les ordres du lieutenant-colonel GOUDEAU sont en réserve de division.
Mission : Appuyer et prolonger l’offensive des 53e et 54e brigades contre les positions : tranchées de la Vistule, tranchées de la butte de Souain. L’objectif est la cote 201.
2° L’attaque.
LA JOURNÉE DU 25. - A 9h 15, la réserve de division quitte ses places d’armes et s’engage dans les boyaux conduisant à la première ligne. A 9 h 30, les têtes de colonne débouchent de la parallèle de départ derrière le 75e et le 1er bataillon du 140e . Le drapeau est déployé.
Au pas de course, les unités franchissent les deux premières lignes des tranchées ennemies et se forment sur la même ligne, le 2e bataillon à droite, le 3e bataillon à gauche. Ils sont tous deux en colonne double ouverte; 200 pas séparent les bataillons, 150 les compagnies; celles-ci sont en ligne de section par deux à 100 pas. Une section de mitrailleuses marche avec chaque bataillon, entre les compagnies de tête des colonnes. Une section est en réserve entre les cieux bataillons à hauteur des compagnies de queue.
Les sapeurs-pionniers du régiment sont divisés en deux sections, rattachées chacune à un bataillon. Une section du génie suit également chaque bataillon. La demi-batterie de 58 marche avec les sapeurs-pionniers.
Le drapeau déployé est porté par le colonel GOUBEAU en personne, en tête du régiment.
Les tambours et clairons battent et sonnent la charge; les hommes chantent la Marseillaise. L’enthousiasme est magnifique, d’un élan superbe, sans arrêt, malgré les tirs de barrage qui les accueillent dès le départ des places d’armes, les deux bataillons progressent vers leur objectif. Quelque difficulté se présente au début dans le maintien de la direction, les unités tendant à obliquer vers la droite dans le sillage de la réserve de brigade. Elles sont ramenées vers la gauche, à hauteur de la troisième ligne ennemie et à partir de la tranchée d’York la direction est conservée. Les effets du tir de barrage se font particulièrement sentir à hauteur des bois 6 et 7, du bois 8 de la tranchée de Schaffhouse, des bois du Paon et des Perdreaux et sur la route de Tapure. Au passage du ravin longé par cette route, l’attaque est accueillie par des feux d’infanterie partant de la gauche (Trou Bricot).
Les troupes de première ligne ont perdu, pendant leur progression rapide sous le feu, la régularité de leurs formations; certains vides se sont creusés que remplit la réserve de D. L Tout en progressant, certaines positions encore, occupées par l’ennemi sont nettoyées (batteries, emplacements de mitrailleuses).
Les unités de tête des bataillons de la réserve accélèrent l’allure, rejoignent les troupes de première ligne à hauteur de la route de Souain à Tahure et progressent avec elles. Les éléments de queue, sections de pionniers du génie, de canons de 58, arrêtés dans les boyaux encombrés, en particulier par des prisonniers ramenés vers l’arrière, n’ont suivi qu’à grande distance la marche des deux bataillons qu’ils rejoindront tardivement sur la position 193.
Les tranchées, batteries et emplacements de mitrailleuses échelonnés sur le parcours, ont été franchis et nettoyés.
Les batteries ennemies ont tiré jusqu’au dernier moment; en plusieurs points, les artilleurs se sont fait tuer sur les pièces qu’ils servaient. Un commandant de batterie avant eu tout, son personnel mis hors de combat, s’est mis lui-même à une de ses pièces et a tiré jusqu’au moment où il a été cloué sur elle, tandis qu’il introduisait, encore un obus dans le canon. Plusieurs autres pièces ont été prises chargées. Deux pièces de 105 d’une batterie placée au sud de 193 avaient été hâtivement tirées en avant de leurs abris, sur la crête et pointées sur les éléments de tête de la ligne d’attaque.
La crête 193 (l’objectif à atteindre), est abordée vers 10H50.
Les drapeaux du 52e et du 140e y sont plantés en face de la tranchée ennemie. Cette tranchée, précédée d’un réseau intact de fil de fer barbelé, est occupée par des fantassins ennemis qui agitent les bras comme s’ils voulaient se rendre à l’arrivée de notre première ligne sur la crête.
Des compagnies du 52e et de la réserve de division vont s’y précipiter lorsqu’elles sont prises d’enfilade et à revers par des canons ennemis tirant de la région du trou Bricot et de flanc par un feu violent de mitrailleuses sur la gauche complètement découverte. Un léger mouvement de repli se produit à l’extrémité de la ligne que rien ne prolonge à l’est du point 193.
Le lieutenant-colonel GOUBEAU fait alors sonner la marche du régiment et " En avant " . Les lignes se reforment et se portent au delà de la crête. C’est à ce moment que le porte drapeau du 140e est mortellement frappé sur la crête 193, où il a planté le drapeau. Les fils de fer qui précèdent les tranchées ennemies sont intacts; la crête 193 est balayée par les mitrailleuses et l’artillerie. Vers la droite, le tir trop court d’une de nos batteries de 75 empêche la progression dans le ravin, à l’ouest du bois 151.
L’élan de l’attaque est enrayé.
Pendant ce temps, l’artillerie ennemie, qui depuis 13 heures ne manifestait qu’une très médiocre activité, ouvre, des hauteurs de la butte de Tahure, un tir de barrage violent qui enfile la cote 193 et gêne considérablement la réorganisation des unités, toujours soumises au tir de plus en plus nourri de mitrailleuses situées à gauche dans les bois au nord du trou Bricot, en avant de la lisière sud des bois 28 et 29.
Enfin, l’appui de notre artillerie fait, défaut; elle tire sur des objectifs éloignés et reste sans action sur les défenses immédiates des tranchées 193.
En résumé, pendant la journée du 25, le régiment s’est rassemblé dans les places d’armes, a passé à l’offensive, s’est installé sur les crêtes de la cote 193; mais son offensive s’est arrêtée devant des lignes organisées et intactes. Pendant la nuit, il consolide les gains acquis et prépare la reprise de l’attaque.
LA JOURNÉE DU 26. - La préparation d’artillerie commence dans la matinée. Les éléments du 52e et du 140e qui occupent la crête, à l’est de 193, doivent enlever la portion de tranchées qui leur fait face. Un bataillon du 416e mis à la disposition du colonel GOUBEAU doit se porter sur 201 par les pentes boisées au sud-est.
A 10h 30, sous un tir de barrage d’une violence extrême effectué par des pièces d’artillerie lourde à obus fusants et percutants, les troupes d’attaque (2e bataillon et moitié du 3e bataillon du 140e, deux bataillons du 52e) s’élancent de leurs tranchées dans un élan merveilleux, parmi les éclatements, la fumée, les gerbes d’éclats et de terre. Mais l’artillerie a laissé intacts les réseaux de fil de fer barbelé qui précèdent les tranchées. En outre, surtout dans la partie est, la ligne ennemie est oblique par rapport au front de départ et la crête 200, objectif final de l’offensive, apparaît en dehors et à droite de la ligne des défenses accessoires.
Il se produit alors une dérivation de l’attaque vers la droite, l’un après l’autre les bataillons se précipitent dans le ravin 105 et remontent les pentes de 201.
Les fractions de tête du 2e bataillon du 140e (6e compagnie), atteignent la tranchée qui traverse, à 200 mètres est de 201, la route de Tahure-Somme-Py et y pénètrent. Les bataillons du 52e s’arrêtent derrière le bataillon Muret. Le bataillon du 416e, marchant droit au nord, gravit les pentes, à l’est de 201, et vient donner sur la tranchée de la Vistule, à l’est du point où elle atteint la route de Tahure à Somme-Py.
Les fantassins allemands qui la garnissent agitent leurs casquettes comme s’ils voulaient se rendre; mais, dès que les unités du 416e s’avancent, elles sont accueillies à coups de bombes et de fusil en même temps que l’artillerie ennemie exécute, en avant de ses tranchées, un tir de barrage.
En résumé, pendant la journée, la 27e D. I. a repris, sans succès, son offensive sur les tranchées 193, 201 de la Vistule.
La 57e D. I. doit reprendre cette attaque pour son compte, tandis que la 27e D. I. doit couvrir et appuyer par le feu ce mouvement. Celle-là a déjà commencé son mouvement d’approche dans l’après-midi.
Pendant la nuit, les troupes s’organisent sur leurs positions, creusent des tranchées et se reconstituent en partie, autant que le permettent l’obscurité et la situation, au contact immédiat de l’ennemi dont les mitrailleuses battent les parties non défilées du terrain conquis.
LA JOURNÉE DU 27. - Le colonel GOUBEAU en visitant les positions le 27, entre 3 heures et heures, constate que la situation est la suivante :
L’attaque, après beaucoup de tâtonnements, est reprise dans la journée du 27. La 31e D. I., les éléments de la 27e D. I. engagés sur le front d’attaque et un bataillon du 122e doivent attaquer les tranchées de la Vistule. Le lieutenant-colonel GOUBEAU dispose des deux bataillons du 140e réduit à la moitié de son effectif, d’un bataillon du 52e bien diminué et d’un bataillon du 122e . L’attaque est appuyée par l’A. D. 27e et deux batteries lourdes. La préparation d’artillerie commence à 10 heures et l’attaque doit avoir lieu à 14 heures. Des organes de flanquement et des mitrailleuses se révèlent aux lisières sud-est des bois 29-28 et dans la partie nord du bois 30. Le tir de notre artillerie, trop long et à gauche, ne les atteint pas. Il est nécessaire de régler le tir, mais les circonstances ne le permettent pas. Aussi, jusqu’au dernier moment, les mitrailleuses ennemies tirent-elles sans arrêt, fauchant le terrain en avant du 52e et dans le ravin 165.
L’attaque, ordonnée pour 14 heures, va néanmoins s’exécuter, quand arrive, à 13h 50, l’ordre de ne l’exécuter qu’à 16 heures. C’est à grand’peine que cet ordre peut être communiqué en temps utile aux troupes de l’attaque.
Faute d’un réglage serré, la préparation d’artillerie qui continue est inefficace sur toute l’organisation défensive des bois au sud de la cote 201.
A 16 heures, l’attaque se déclenche. Le 2e bataillon du 140e (SOUS les ordres du Capitaine PICOLET D’HERMILLON, qui a remplacé le commandant MURET tué à 15h 45) marche sur 201, suivi immédiatement par le 122e .
Un tir de barrage d’une extrême violence, effectué par de l’artillerie lourde avec obus à gaz lacrymogènes, s’abat sur les troupes d’assaut et les réserves.
Le premier élan est arrêté, mais l’assaut est repris presque aussitôt. Le 2e bataillon atteint et occupe la tranchée ennemie qui relie le bois 30 au point 947, en travers de la route de Tahure à Somme-Py. Le bataillon du 122e le prolonge à l’est, se reliant à droite au 75e. La 61e brigade, de son côté, a progressé sur les pentes, mais sans atteindre les tranchées de la Vistule dont nous n’occupons le soir que des fractions.
A gauche, devant 193, les 9e et 10e compagnies, sous les ordres du capitaine CROIBIER, prennent part à l’attaque ainsi que deux S. M. du 140e .
Sur tout ce front, la préparation d’artillerie a été insuffisante. Les réseaux de fils de fer sont intacts. C’est en vain que les hommes entraînés par leurs officiers s’efforcent de les couper, rampant jusqu’aux réseaux derrière des sacs à terre qu’ils poussent devant eux. Le tir des mitrailleuses et des fusils bien installés dans des tranchées à contre-pente et les organes de flanquement arrêtent leur progression.
La nuit vient. Les pertes en tués et blessés sont élevées. En résumé, la 27e D. I. et la 31e D. I. ont attaqué sans succès sur les positions cote 193-la Vistule. Les unités s’organisent sur la position conquise et s’y retranchent. Un peu d’ordre est remis dans les unités; des éléments de huit régiments différents sont, en effet, mélangés de façon assez confuse sur les pentes au sud-est de 201.
Deux contre-attaques se produisent pendant la nuit, l’une sur le front des tranchées 193 vers 20h 30, l’autre sur le front est de la tranchée de la Vistule vers 21 heures. Elles sont enrayées par le feu de l’artillerie et des mitrailleuses.
La nuit est employée au renforcement de la ligne. La fusillade est incessante du côté allemand ainsi que le jet de bombes et de grenades sur les parties de tranchées conquises vers 947. A plusieurs reprises, l’ennemi bombarde les pentes de 201 avec de l’artillerie lourde.
LA JOURNÉE DU 28 SEPTEMBRE. - L’ordre est donné de consacrer la journée du 28 à l’organisation défensive de la position et à la réorganisation des unités. Des fanions blancs et rouges sont placés pour permettre le réglage de l’artillerie. La liaison téléphonique avec celle-ci est rétablie. Du matériel (grenades, cartouches, fusées, fanions) est poussé aux unités de première ligne. L’ennemi déclenche en certains endroits des contre-attaques violentes et le colonel GOUBEAU vient en aide, dans la plus grande mesure possible, aux unités menacées.
Le soir du 28, la situation est la suivante
Les unités, bien que fatiguées par trois jours de luttes creusent la terre avec une ardeur sans cesse renouvelée et au jour, une ligne de tranchée solide est établie. La 6e compagnie, sous le commandement du lieutenant VIDON, se distingue particulièrement dans ce travail.
LA CITATION A L’ORDRE DE L’ARMÉE. - Le
régiment est en flèche, le canon tonne sur ses
derrières du côté du trou Bricot et
à l’est de Tahure et le 29, quand il est
relevé, la ligne qu’il occupe est à au
moins 3 kilomètres en avant de celle tenue par les
éléments plus à l’est. Ces glorieux
faits d’armes valent au régiment la citation
suivante à l’ordre de la IIe armée
commandée par Pétain
" Le 140e R. I., le 25 septembre, sous les ordres de son
chef, le lieutenant-colonel GOUBEAU, a donné
l’assaut, drapeau déployé, tambours
battants, a gagné d’un seul élan
près de 4 kilomètres de terrain, pris des canons,
fait des prisonniers et après un combat de quatre jours
et de trois nuits a maintenu définitivement les
positions conquises. "
QUELQUES FAITS D’ARMES ET ACTES HÉROÏQUES. - Au cours de ces glorieuses journées, officiers et soldats ont rivalisé de courage, d’entrain et plus d’un a payé de sa vie son dévouement à la patrie.
Le soldat LUQUET (Jean), engagé volontaire à dix-sept ans, a fait preuve depuis son arrivée sur le front d’un ardent patriotisme. Agent de liaison à la brigade, il a sollicité l’honneur de marcher à l’attaque dans le rang. Il s’est jeté en avant dès que le drapeau du régiment eut franchi les tranchées de première ligne. Il s’est joint à sa garde, exaltant le courage de ceux qui marchaient à l’attaque avec lui.
Le sergent FILLETON (André), engagé volontaire à cinquante-six ans, renommé pour sa bravoure, trouve lui aussi une mort glorieuse au cours de l’attaque, à laquelle il avait voulu participer bien que blessé quelques jours auparavant.
A la cote 193, le drapeau du régiment se trouve un moment en danger. Le clairon ASSIER se plante à côté du drapeau et sonne la charge sans arrêt, pour rallier ses camarades; les balles sifflent, mais ce brave clairon continue à sonner avec entrain et sème la panique parmi les adversaires les plus proches du drapeau. Le sergent DUJET et le soldat MEYNET se font tuer en se portant en avant du drapeau pour le sauver. Le sous-lieutenant CHANTELAT, porte-drapeau, est tué. Le colonel GOUBEAU demande qu’on lui ramène le drapeau; le caporal CHARPIN se précipite, mais il est abattu par une rafale de mitrailleuses en arrivant au but. Enfin, le drapeau reste entre nos mains.
LA RELÈVE. - Dans la nuit du 28 au 29, la 27e D. I. est relevée. Le colonel commandant le 44e colonial vient prendre le commandement du secteur d’attaque de la cote 201. Le 44e colonial relève le 140e et les éléments du 52e et du 75e sur le front route Somme- Py-Tahure-méridien 34. Le 81e R. I. relève les autres éléments du régiment. Les troupes de la 27e D. I. et de la 35e D. I. se retirent. A 7 heures, le régiment est rassemblé à la cote 204, à l’est de la route de Somme-Suippes à Perthes et à 11h 30, il va bivouaquer à Cabane-et-Puits. Le 4 octobre, le régiment vient cantonner à Saint-Julien-Courtisols et se rend à Francheville dans la journée du 5. Il jouit là jusqu’au 15 de quelques jours de repos bien gagnés. Au cours des combats de septembre, le régiment a fait son devoir, et il y a lieu de rendre hommage à la bravoure, au dévouement, au patriotisme de ceux qui ont combattu pendant quatre jours et trois nuits, au prix des plus grands sacrifices.
LE REPOS DANS LA RÉGION DE BELFORT
Le 15 octobre au soir, le régiment embarque à Châlons-surMarne, à destination de Belfort où il débarque à partir du 16 au soir. Il se rend à Auxelles-Bas (1er et 2e bataillons) et AuxellesHaut (3e bataillon). Le régiment est de nouveau au pied des Vosges, mais plus au sud qu’en 1914, à l’endroit où les collines vosgiennes tombent brusquement sur la trouée de Belfort.
LE SÉJOUR A AUXELLES. - Jusqu’au 19 décembre, le régiment va profiter d’un long repos réparateur et après les dures journées de Champagne, chacun l’apprécie. Du reste, la population est très aimable, hospitalière et les hommes cantonnés chez l’habitant font bien vite partie de la famille.
Pendant ce long séjour, les unités sont reconstituées, l’instruction est reprise et le régiment effectue quelques marches militaires dans cette région des Vosges (ballon d’Alsace, Plancher-des-Belles-Filles). Le 28 novembre, la 4e compagnie a été envoyée comme compagnie d’instruction à PlancherBas où a été organisé un centre d’instruction.
LE SÉJOUR AU CAMP D’ARCHES. - Du 19 au 23 décembre, le régiment effectue une série d’étapes qui l’amènent à proximité de la frontière suisse.
Le régiment est tout entier, le 24 décembre, aux environs du camp d’Arches; jusqu’au 10 janvier il va y recevoir une instruction, intensive et exécuter beaucoup de manoeuvres d’entraînement. Leur but est de familiariser la troupe avec les procédés d’attaque envisagés pour une nouvelle offensive et de rechercher d’autre part les moyens de réaliser pratiquement la liaison entre les différentes armes.
1916 |
Le régiment est tout entier, le 24 décembre,
aux environs du camp d’Arches; jusqu’au 10 janvier
il va y recevoir une instruction, intensive et exécuter
beaucoup de manoeuvres d’entraînement. Leur but est
de familiariser la troupe avec les procédés
d’attaque envisagés pour une nouvelle offensive et
de rechercher d’autre part les moyens de réaliser
pratiquement la liaison entre les différentes armes.
Le 6 janvier, une nouvelle compagnie de mitrailleuses est
constituée au Roulier sous le nom de compagnie de
mitrailleuses de brigade, sous le commandement du capitaine
SAVOURNIN.
LE SÉJOUR EN ALSACE
LE TRANSPORT EN ALSACE. - Le 11 janvier, tout le régiment embarque en T. M. et, après avoir franchi le col de Bus sang, traversé la vallée de Saint-Amarin, les bataillons débarquent à Thann et dans les environs.
Le régiment est en Alsace, dans une partie de l’Alsace reconquise, précisément celle où commence à se dessiner la physionomie de cette province. A l’entrée d’une riche vallée qui s’enfonce profondément dans la montagne, la vieille cité tortueuse inaugure la série des localités prospères qui se pressent à la lisière est des Vosges. De longs talus adoucis, une ceinture de collines tapissées de vignes s’inclinent vers la plaine. Les. routes se pressent, la contrée est animée : c’est le commencement de la zone vivante où des vallées basses débouchent entre des coteaux exposés au soleil en face des champs où tout vient à souhait. Mais la plaine qui s’étend vers l’est et que nos lignes dominent a un aspect de taillis et de landes. La Thur et la Doller plus au sud ont couvert cette région d’un cailloutis ingrat rebelle aux cultures.
L’OCCUPATION DU, SECTEUR. - Le régiment monte presque de suite en secteur en avant de Vieux-Thann et sur le flanc de la cote 425. Le secteur est très calme, cependant le chef de bataillon LESEBLE, commandant le 2e bataillon, est blessé mortellement au Vieux-Moulin.
LA RELÈVE. - Le 11 février, le régiment est relevé par le 137e R. I. et le 192e R. I.
LE SÉJOUR A LA FRONTIÈRE SUISSE - Le régiment se rend par étapes à Montbéliard et ses environs où il bénéficie de cinq jours de repos. Il fait partie des troupes de couverture de la frontière suisse. Il est occupé à organiser défensivement cette frontière quand l’attaque ennemie sur Verdun le rappelle dans un secteur brûlant.
LA BATAILLE DE VERDUN
LE DÉPLACEMENT. - Le 26 février, le régiment est alerté, embarque à Beaucourt le 29 et débarque à Nançois-Tronville et Ligny le lendemain.
Le régiment est en plein Barrois; cette contrée est un plateau qui étale entre la Meuse et la plaine de Champagne un ensemble de hauteurs atteignant 400 mètres. Celles-ci, calcaires, ne portent que des lambeaux de forêts et des champs assez maigres. Par endroits, la vigne se plaît dans ces pierrailles. La vie s’est réfugiée dans le fond étroit et fertile des vallées, à proximité de l’eau. Si raide est la pente que du haut des plateaux qui les enserrent, on ne découvre qu’en arrivant immédiatement au-dessus, vallon et village.
A travers le plateau des routes s’allongent, sans fin, mais le long de ces routes pas une maison et l’on aperçoit à peine dans les champs quelques êtres humains.
LE PREMIER SÉJOUR A LÀ CAILLETTE.
Les 1er et 2 mars , le régiment est en cantonnement d’alerte; le 3, il se porte à Levoncourt où il passe la journée du 4. Le 3e bataillon rejoint le régiment à Levoncourt, après avoir fait étape par Silmont où il a cantonné deux jours. Après une nouvelle journée de repos, le régiment vient à Courouvre. Il a quitté le Barrois pour le Verdunois, semblable d’aspect. Dans ce cantonnement médiocre, où la place manque, les gens aussi peu accueillants que possible, le temps mauvais, le régiment passe quelques jours dans l’attente. Le 9 mars, il fait mouvement sur Longchamps où il embarque en T. M. Après quelques heures de voyage, il débarque au sud-ouest de Verdun à proximité du fort de Regret et s’achemine, dans la nuit du 9 au 10, sur Haudainville, par la Porte-Neuve et les casernes de Belleray. Le régiment est sur les bords de la Meuse, rivière tranquille qui serpente péniblement dans son lit sinueux. Les villages alternent d’un bord à l’autre de la vallée sur la zone étroite où les prairies confinent aux champs. A 9 heures, tout le régiment est alerté. Par le fort de Belrupt et les casernes Chevert, il s’avance vers le plateau de Fleury. Le mouvement coïncide avec une attaque allemande dont les tirs de barrage gênent considérablement la progression des unités. Le régiment remplace le 234e qui était en réserve dans le bois à proximité du carrefour du Tillat. Dans la nuit du 10 au 11, il monte relever en ligne le 109e R. I. Le 1er bataillon en réserve prend position à la voie ferrée VauxFleury. Les 2e et 3e bataillons vont relever en première ligne au ravin et au bois de la Caillette, près du fort de Douaumont. Le départ de la forêt du Tillat commence à 18 heures, mais il subit un temps d’arrêt marqué au nord du carrefour de Bellevue, en raison des violents tirs de barrage ennemis sur la région de Fleury-fort de Souville-tunnel et fort de Tavannes. Dans le nouveau secteur, où vient d’arriver le régiment, la bataille fait rage, aussi les tranchées sont à peu près inexistantes; il n’y a que quelques vagues trous de tirailleurs et aucune défense accessoire. Mais tout le régiment, sous l’impulsion du lieutenant-colonel DESTEZET, avec une ardeur fébrile, en dépit de l’artillerie ennemie qui déverse sans arrêt des tonnes de projectiles de tous calibres sur toutes nos positions, va travailler à organiser le secteur. La 5e compagnie approfondit et organise sa tranchée de première ligne, établit un réseau de fils de fer barbelés, creuse un boyau pour relier sa tranchée à la redoute, installe un petit poste avancé dans des maisons ruinées à gauche de la route de la Caillette, creuse deux boyaux qui relient la tranchée de première ligne au P. C. du bataillon et opère la jonction de sa ligne avec celle de la 7e compagnie. La 6e compagnie établit une tranchée de première ligne en terrain découvert en avant du bois de la Caillette, pour se raccorder à gauche à la redoute, à droite à une ligne allant à l’étang de Vaux. Des piquets de réseaux en fer, débris des défenses accessoires d’une redoute, ainsi que de nombreux rouleaux de fils de fer sont ramassés bien en avant de nos lignes, à la barbe de l’ennemi et servent à établir un solide réseau à 30 ou 40 mètres en avant de la tranchée, sur le front de la 8e compagnie.
Les compagnies du 3e bataillon travaillent, elles aussi, activement; la 10e compagnie en particulier établit une tranchée avancée au nord du ravin de la Caillette. Le lieutenant VIGUET est cité à l’ordre du régiment, pour avoir fait exécuter cette opération tout près de l’ennemi qui tenta du reste de la gêner par ses feux. Le capitaine GANIER (Frantz), commandant cette compagnie, officier de cavalerie, venu dans l’infanterie sur sa demande, blessé le 13 mars d’une balle à la tête en montrant les travaux qu’il exécutait, refuse de se laisser évacuer et, la tête bandée, reprend, le 15, le commandement de sa compagnie (0. G. no 72 de la lie armée). Le 1er bataillon, en réserve à la voie ferrée, est soumis à d’incessants bombardements par obus de gros calibre. Les différentes compagnies font chaque soir des corvées de ravitaillement en matériel et en munitions, travail dangereux et pénible en raison du terrain bouleversé et des tirs de barrage que l’ennemi semble déclencher à plaisir.
Le 17, les 1er et 3e bataillons se relèvent entre eux. Ce même jour, la C. M. 3 relève la C. M. 2 qui était en première ligne et qui vient s’établir à proximité du P. C. du colonel.
L’ATTAQUE ALLEMANDE. - Jusqu’au 17, l’artillerie ennemie manifeste une activité moyenne, s’adressant surtout aux voies de communication, routes, pistes d’artillerie, carrefours. Le régiment est depuis une semaine en ligne et son secteur est organisé. Il existe une première ligne de tranchées continue, protégée presque partout par des défenses accessoires : abatis, réseaux de fils de fer. Les communications vers l’arrière sont amorcées et activement poussées. Le labeur prodigieux fourni pendant une longue semaine va porter ses fruits, et l’adage que se plaisait à répéter le lieutenant-colonel DESTEZET : " Chaque goutte de sueur versée épargne une goutte de sang ", va trouver une éclatante application.
Le 17 mars, dans l’après-midi, l’artillerie allemande fait de nombreux réglages et bombarde violemment nos positions de réserve et de deuxième ligne. Le P. C. du colonel, violemment pris à partie, est d’un abord à peu près impossible. Chargé de porter un ordre urgent du P. C. de la brigade (Fleury) au P. C. du régiment, le soldat SEURRE (Jules), après avoir traversé le terrible ravin de la Mort, n’est plus qu’à une centaine de mètres du P. C. quand un obus lui fracasse le genou. Un camarade venant à passer, il lui tend son pli, puis se traîne sur les mains jusqu’au P. C. et, en arrivant, son premier mot est : " Mon pli est-il arrivé? "
Lorsque, le 18 mars, le jour se lève, le régiment est ainsi disposé
Deux bataillons en ligne : 1er bataillon à droite, du nord de l’étang de Vaux, à la ligne de partage des eaux des deux ravins de la Caillette;
2e bataillon à gauche de cette ligne de partage des eaux à la redoute de Douaumont incluse;
Un bataillon en soutien (le 3e bataillon) dans le ravin du Bazile. Dans chaque bataillon de première ligne, les compagnies ont trois sections en ligne et une en soutien immédiat.
A 6 heures du matin, un bombardement effroyable se
déclenche sur nos positions. L’artillerie de
tranchée écrase nos premières lignes sous
un déluge de torpilles tandis que les obus de gros
calibre nivellent la deuxième position et effondrent les
uns après les autres les quelques abris qui subsistent
encore. Cette préparation d’artillerie redouble
vers 9 heures. A 12H30, l’infanterie ennemie sort en
vagues puissantes précédées de
lance-flammes. L’attaque est arrêtée net
devant le front de la ire compagnie; le mouvement ennemi
s’accuse à sa gauche, dans le secteur de la
2e compagnie à laquelle elle envoie une
section de renfort. La 10e compagnie vient également la
renforcer, mais elle n’aura pas à intervenir.
L’attaque est repoussée devant les 3e
et 4e compagnies. On a malheureusement à
déplorer la mort du capitaine DE LA FAY, tué au
début de l’action.
" Jeune officier, plein d’ardeur. A peine
guéri d’une grave blessure, par éclat
d’obus, reçue en juin 1915, a rejoint le corps,
sur sa demande, donnant ainsi un bel exemple
d’énergie. "
Une autre citation à l’ordre de
l’armée nous dit que ce jeune officier qui vient
d’être nommé capitaine et comme par le
passé, ardent, plein de coeur et de courage, est
tué d’une balle à la tête, au combat
du 18 mars, en suivant des yeux, par-dessus le parapet de la
première ligne, la progression de l’attaque
allemande et en indiquant à ses hommes les
différents objectifs à battre " .
Devant le 2e bataillon, la ligne est intégralement maintenue devant les 5e, 6e et 8e compagnies. Le sous-lieutenant DURIF, de la 5e compagnie, venu dans l’infanterie sur sa demande, occupe avec sa section un petit fortin dépendant du fort de Douaumont. Dès que les premiers assaillants sortent, cet officier bondit sur le parapet et abat, de sa propre main, le flammenwerfer prêt à entrer en action. Électrisés par son exemple, ses hommes ouvrent un feu d’enfer qui arrête net l’ennemi, l’oblige à se coucher puis à regagner sa parallèle de départ non sans avoir subi de graves pertes.
Devant la 7e compagnie, un groupe de combat que
l’ennemi était parvenu à occuper est
vivement repris par une contre-attaque dirigée par le
lieutenant VALLIER (commandant la 7e compagnie). Cet
exploit lui vaut la nomination de chevalier de la Légion
d’honneur avec le motif suivant
" Au cours du combat du 18 mars 1916, un poste de
mitrailleurs, rattaché à sa compagnie, ayant
été pris, s’est élancé
lui-même, accompagné d’un seul homme, sur
les assaillants qu’il a mis en fuite à coups de
grenades, a repris les mitrailleuses et le terrain perdu en
faisant deux prisonniers dont un sous-officier. "
Le lieutenant VALLIER était accompagné du
sergent MONTEIL à qui l’on décernait
quelques jours plus tard la Médaille militaire :
" Sous-officier d’une énergie
exceptionnelle et d’un courage à toute
épreuve. S’est brillamment conduit au cours du
combat du 18 mars 1916, contre-attaquant à coups de
grenades et mettant en fuite les ennemis qui tentaient
d’aborder les abris de mitrailleuses; est allé
ensuite en plein jour chercher un blessé qu’il a
ramené dans nos lignes. Deux fois blessé au cours
de la campagne. " (0. G. 2637 D. du G).
La 9e compagnie qui était en réserve a été envoyée en renfort à la 7e compagnie; les deux compagnies du 3e bataillon qui restent disponibles sont occupées au transport des munitions. En définitive, l’attaque allemande échoue lamentablement. quelques hommes seulement ont disparu; le régiment, malgré un bombardement effrayant, n’a pas plus bronché sous les obus que devant les attaques de l’infanterie ennemie. Tout le sol confié à sa garde a été intégralement maintenu. L’ennemi a laissé entre nos mains quelques prisonniers. Quantité des siens sont tombés en avant de nos lignes. Des blessés en grand nombre gémissent sur le champ de bataille et, cherchant à regagner leurs lignes, la nuit suivante, provoquent chez nous une alerte générale, le régiment étant toujours sur l’oeil.
Chacun, en la circonstance, a fait son devoir. Aux faits héroïques cités plus haut nous pouvons en ajouter quelques autres. Le soldat FOURNIER (Charles), de la 2e compagnie (classe 1915), enseveli à deux reprises, se dégage à chaque fois sans s’émouvoir. Au moment où se déclenche l’attaque allemande, presque debout sur la tranchée, il reçoit les ennemis à coups de fusil, vise avec soin, marque les coups, les indique à ses cama rades jusqu’au moment où une balle l’atteint en pleine tête. Le cycliste MICOLLIER, de la 3e compagnie, bien que blessé à la tête, veille, avertit ses camarades au moment où les vagues ennemies s’élancent à l’assaut et bondit en avant de la tranchée pour faire plus aisément le coup de feu.
La C. M. 1, qui est en première ligne, subit des pertes sérieuses (14 tués, 44 blessés, 1 disparu), mais elle a largement contribué à repousser l’attaque. La ire section, sous le commandement du sergent GACHET, a exécuté un tir très meurtrier pour l’ennemi qui a laissé de nombreux cadavres à proximité immédiate des pièces. La 3e section, sous le commandement du sergent SAUZE, réussit, par un tir précis, à causer des pertes sérieuses à l’assaillant. Pendant le combat, une fraction ennemie réussit cependant à pénétrer dans la tranchée et arrive derrière les mitrailleurs, capturant personnel et matériel. Le sergent SAUZE, un instant prisonnier, réussit, par un coup d’audace, à se dégager et apporte des renseignements précieux qui serviront pour l’exécution de la contre attaque du lieutenant VALLIER dont il a été question plus haut. Le mitrailleur JULIEN (Jules) assure le service de sa pièce sous un feu violent; sa couronne graduée ayant été brisée par une balle, s’est borné à dire avec le plus grand calme : " Ces sales Boches m’ont fait perdre la ligne de mire. "
La brillante conduite du régiment au cours des dures jour nées du 10 au 18 mars, est attestée par la belle citation à l’ordre de la lie armée du lieutenant-colonel DESTEZET : " Excellent chef de corps; arrivé sur une partie du champ de bataille bouleversée par plusieurs jours de combat, a, par son énergique attitude, son exemple et son inlassable activité, obtenu de son régiment, pendant dix jours et dix nuits, un travail considérable, subissant un bombardement intense de tous les instants et repoussant toutes les attaques de l’ennemi. "
Des citations à l’ordre de l’armée sont également accordées aux deux chefs de bataillon et au médecin-chef du régiment.
" Gravement indisposé pendant le séjour
du régiment aux tranchées, le commandant PARISOT
a continué à assurer son service et a, le 18 mars
1916, à la tête de son bataillon,
résisté à toutes les attaques et n’a
consenti à se laisser évacuer qu’à
la relève du régiment. " " Le
commandant FAURE (Ernest) a su inspirer à ses
subordonnés l’amour du travail et s’est
réellement montré organisateur dans la
période du 10 au 21 mars 1916. Le 18 mars, a maintenu en
place son bataillon sous un bombardement d’une violence
inouïe et a ensuite brillamment repoussé une
attaque particulièrement violente et accompagnée
de jets de liquides enflammés. "
Le médecin-major ÉPAULARD (Alexis) s’est
dépensé sans compter pendant la période du
15 au 25 mars 1916, assurant dans les circonstances les plus
difficiles le transport et l’évacuation des
blessés.
Les musiciens-brancardiers, par leur dévouement lui apportent un précieux concours et sont pour cela cités à l’ordre du corps d’armée
" Sous l’impulsion énergique de leur chef, M. LANDEROUIN, ont assuré l’évacuation des blessés pendant huit nuits consécutives, sous des feux de barrage redoutables, au prix des plus dures fatigues. Éprouvés par des pertes sensibles, ont montré un bel esprit de sacrifice et de solidarité. "
LE REPOS A HAUDAINVILLE. - Dans la nuit du 20 au 21, le régiment est relevé par le 226e R. I., et va prendre quelques jours de repos bien gagné à Haudainville.
LE SECTEUR D’EIX-DECOURT (premier séjour). - A partir du 30, le régiment monte dans le secteur d’Eix-Decourt, qu’il va organiser malgré un intense bombardement, pendant une quinzaine de jours.
Le 1er bataillon a une compagnie en ligne et trois en réserve. Le 2e bataillon occupe la Ferme Bourvaux, les redoutes de La Lauffée et du Mardi-Gras, la fontaine de Tavannes, le poste des Chasseurs et la redoute d’Eix. Le 3e bataillon tient le secteur de la Fiéveterie et les tranchées en avant d’Eix.
Le secteur est assez agité, mais paraît fort calme en comparaison des précédents, et les pertes y sont relativement faibles.
LE REPOS DANS LA ZONE DE LA VALLÉE. - Le 60e RI. relève le 140e du 13 au 15 avril. Les différents bataillons embarquent en T. M. à la Queue-de-Mala, débarquent à Érize-Saint-Dizier et vont cantonner dans les environs de La Vallée où, jusqu’au 28, le régiment se repose et se réorganise.
LE DEUXIÈME SÉJOUR A EIX. - Le 28, tout le régiment embarque en T.M. et débarque à Lemmes, d’où il fait étape pour aller en cantonnement d’alerte à Belrupt, en réserve de division. Le régiment passe quelques jours dans l’attente et reçoit de nouveaux renforts. A partir du 6 mai, les différents bataillons remontent dans le secteur d’Eix qu’ils occupent pendant une courte période de quatre jours.
LA DESCENTE A HAUDAINVILLE. - Dans la nuit du 13 au 14 mai, tout le régiment est relevé par le 234e R. I. et descend à Haudainville.
LE SECTEUR DU FORT DE VAUX. - Le 14 mai, dans l’après midi, le 2e bataillon reçoit un ordre de relève pour le fort de Vaux. A 17h 30, le bataillon se met en route et vient s’établir aux abords immédiats du fort, qui est encore dans nos lignes.
L’infanterie allemande ne prononce aucune attaque, mais un bombardement terrible commence dès la pointe du jour et s’arrête fort tard dans la nuit. Les organisations sont bouleversées chaque jour et tout élément de tranchée construit pendant les quelques heures de la nuit, qui est fort courte à cette époque de l’année, est impitoyablement aplani le lendemain. Le ravitaillement devient très difficile; les hommes souffrent de la faim et surtout de la soif, mais on tient bon tout de même.
Pendant ce temps, le 1er bataillon, après un jour de repos seulement à Haudainville, est alerté et envoyé pendant cinq jours en réserve au fort de Tavannes, période pendant laquelle il est employé au ravitaillement des unités de première ligne dans le secteur du fort de Vaux. La. C. M. 1 a été détachée de son bataillon et envoyée le 15 au fort de Vaux, de la garnison duquel elle fait partie. Elle redescendra le 20 au matin et viendra cantonner dans les péniches d’Haudainville, après avoir été relevée par les soins du 142e .
Le 3e bataillon est mis le 15 au soir à la disposition du commandant du fort de Vaux. La C. M.
3 est en position dans le ravin de la Mort.
LE REPOS A HAUDAINVILLE. - Le 20 mai, tout le régiment se donne rendez-vous à Haudainville et cantonne dans les péniches pendant quelques jours.
ENGAGEMENT DU RÉGIMENT DANS LA RÉGION DE SOUVILLE. - Le 24 mai, nouvelle alerte à 11 heures. Vers 18 heures, le régiment reçoit l’ordre de se porter à Verdun, où, dit-on, il doit cantonner aux casernes Sainte-Catherine. Mais un nouvel ordre envoie les bataillons vers le fort de Souville, où un autre ordre envoie le 1er bataillon relever à la Caillette et le 3e bataillon à la Ferme des Hospices. Le 1er bataillon prend la place du 274e R. I. et le mouvement de relève au bois de la Caillette s’effectue en plein jour à 70 mètres de l’ennemi. Le 27 au soir, il passe en réserve et s’installe au bois des Essarts (sud du fort de Souville). Dans la nuit du 28 au 29, il regagne Haudainville.
Dans la matinée du 29, le 2e bataillon se porte en réserve au village de Fleury dans les ruines duquel il passe la journée du 29 et celle du 30. Ce jour-là, vers 18 heures, il reçoit l’ordre de se porter en renfort à la redoute de Fleury. Ce mouvement s’effectue en plein jour aux vues de l’ennemi, le long du ravin du chemin de for. En dépit d’un tir violent d’artillerie et d’un feu de flanc assez lointain de mitrailleuses, le bataillon est assez heureux pour atteindre la redoute presque sans pertes. Il s’y établit en position d’attente, mais avant que la nuit se passe, vers 2 heures du matin, il reçoit l’ordre de redescendre à Fleury. Après y avoir passé la journée, il descend le soir à Haudainville.
Le 3e bataillon, après avoir .reçu l’ordre de se rendre au Faubourg Pavé (Verdun), est dirigé sur le fort de Souville comme tout le régiment, et de là vers la redoute de Fleury. En traversant le village de Fleury, il subit un violent bombardement par obus de tous calibres. A peine arrivé à la redoute, un nouvel ordre l’envoie au Cabaret Rouge, où il passe une partie de la journée du 25. Il en repart à 14 heures pour retourner au fort de Souville, où il passe la nuit. Le 26 au matin, il va en réserve au bois des Essarts au nord de la voie ferrée Verdun-Étain, à 400 mètres de la sortie ouest du tunnel. Dans la nuit du 27 au 28, il relève en première ligne des unités du 218e près de la redoute de Douaumont. Le bombardement est toujours aussi violent et des compagnies ont à souffrir du feu de nos 75, qui tirent trop court. Après quatre jours de secteur, le bataillon est relevé et se rassemble le 31 mai à Haudainville.
LE REPOS DANS LA ZONE DE LA VALLÉE. - Le régiment, entièrement regroupé à Haudainville dans les derniers jours de mai, embarque de nouveau en T. M. pour aller au repos.
Le 140e (comme les autres unités de la D. I. qui avaient été mises à la disposition du général LEBRUN) est rendu au 14e corps d’armée que commande le général BARET et, à cette occasion, celui-ci nous communique la lettre d’éloges qui lui a été adressée
Au moment où les dernières troupes de la 27e D. I. cessent d’être sous mes ordres, je tiens à vous exprimer tous mes remerciements pour le concours précieux qu’elles ont apporté aux troupes chu groupement, particulièrement dans les moments difficiles.
Je m’excuse d’en avoir usé et presque abusé malgré moi, puisque les circonstances m’ont obligé à les retenir plus longtemps que je n’aurais voulu.
En toute occasion, les officiers et les hommes de ces régiments ont montré un remarquable esprit militaire; leur attitude au feu atteste qu’ils forment une véritable troupe d’élite. Je me plais à vous exprimer l’entière satisfaction qu’elles m’ont donnée et serais heureux de voir porter ce témoignage à la connaissance des officiers et de la troupe.
Signé : LEBRUN.
Pendant trois semaines, le régiment va goûter un repos réparateur. Il reçoit des renforts très importants, réorganise ses unités, recommence l’instruction sur de nouvelles, bases les compagnies s’entraînent à l’emploi du fusil mitrailleur.
Exercices, marches d’entraînement, manoeuvres de bataillon ou de régiment remplissent les journées. Des prises d’armes ont lieu pour décorer de la Croix de guerre quelques-uns des braves qui se sont distingués au cours des dures journées que le régiment a vécues devant Verdun.
LE SECTEUR DES HURES. - Le 26 juin, la période de repos est terminée et le régiment fait mouvement pour se rendre à Somme-Dieue.
Après deux jours de repos, le 29 juin, le régiment relève le 85e R. I. en ligne au pied des Hauts de Meuse. Le 2e bataillon défend Bonzée-en-Woëvre, le 1er est en ligne devant Trésauvaux et le 3e bataillon occupe la côte des Hures, éperon détaché des Côtes de Meuse. Celles-ci, qui bordent la Meuse jusqu’au nord de Verdun à Dun-sur-Meuse, s’allongent en une croupe d’une centaine de kilomètres morcelée par l’érosion. Ce terroir pierreux, fissuré et sec, est le domaine de la forêt; c’est elle qui couronne les hauteurs dont quelques-unes constituent une ceinture de forts autour de Verdun. de là, on domine la Woëvre, vaste dépression uniformément plate, argileuse, donc humide, semée de nombreux étangs et de marais. Par temps clair, on aperçoit de la crête des Hures les cheminées du bassin de Briey à l’horizon. De ce même promontoire, on voit la série des villages qui se pressent au pied des côtes, parfois à moins d’un kilomètre les uns des autres, avec leurs sources, leurs vergers, leurs mirabelliers et la vigne, le tout bien en friche et abandonné depuis la guerre.
Le secteur est très canne, l’artillerie ennemie peu active; les lignes séparées par un intervalle de 1 à 2 kilomètres, dans lequel circulent de nombreuses patrouilles, même en plein jour. Le secteur est assez bien organisé et, sous la protection (les avant-postes, les éléments disponibles travaillent à l’entretenir et à l’améliorer.
LE COURT REPOS A SOMME-DIEUE. - Après un mois de séjour en ligne, le régiment est relevé par le 415e et descend à Somme-Dieue où, pendant quatre jours, il se repose, se nettoie et va travailler sur la deuxième position au-dessus de Somme-Dieue.
LE SECTEUR DES ÉPARGES. - A partir du 30 juillet, le régiment monte en ligne aux Éparges. Les 1er et 3e bataillons occupent la crête même; le 2e bataillon est à Montgirmont; le P. C. du colonel au Trottoir des Éparges.
Le secteur du 2e bataillon est fort calme, mais il n’en est pas de même aux Éparges. La crête de ce nom constitue un point sensible de notre ligne. Par là, les Allemands prennent pied sur les Hauts de :Meuse et leur ligne s’enfonce après Saint-Rémy dans le bois des Chevaliers pour aller englober Saint-Mihiel. Au printemps 1915, une série d’attaques françaises, parties de la Ferme de Montville, nous ont permis d’atteindre la crête, mais l’ennemi, qui a défendu âprement le terrain, ne nous permit jamais d’aller plus loin. Une lutte de mines s’est engagée, dans laquelle, depuis le déclenchement de l’offensive de Verdun, les Allemands ont la supériorité. La situation est devenue plus critique encore après le recul stratégique de la Woëvre. Fresnes, qui était un cantonnement de repos pour nos troupes, est maintenant dans les lignes ennemies et, de là, ses batteries tirent dans le dos des défenseurs des Éparges. Une formidable artillerie de tranchée, à laquelle répondent seulement quelques mortiers d’accompagnement de 75 et quelques 155, qui peuvent difficilement atteindre les minenwerfer ennemis en raison de la configuration du terrain, déclenche à chaque instant des tirs effrayants sur toute la pente à laquelle nous nous cramponnons. Aussi l’organisation du terrain est à peu près inexistante; les boyaux sont remplacés par des pistes dont le tracé change chaque jour; les petits postes se blottissent dans les trous de torpilles ou s’agrippent aux lèvres des entonnoirs de mines. Les hommes peuvent cependant se réfugier dans des abris-cavernes solidement construits, mais l’air s’y renouvelle difficilement et la chaleur y est presque insupportable.
De temps à autre, l’ennemi fait sauter des mines puissantes qui disloquent et aplatissent les abris, ensevelissent les petits postes; un tir insensé de torpilles se déclenche au même instant et toute la crête disparaît dans un nuage de poussière et de fumée. La lutte s’engage aussitôt pour la possession de l’entonnoir. C’est ainsi que le 2 août, vers 18 heures, une mine saute dans le secteur de la 10e compagnie au point X. Le sergent BOULANGER et le cycliste GUILLAUD vont volontairement reconnaître si l’entonnoir est occupé par les Allemands. L’adjudant ROBERT entraîne vigoureusement une demi-section et l’établit en petit poste sur l’emplacement de la mine. Celui-ci reste en place malgré un violent bombardement. A la nuit tombante, le sous-lieutenant BRUNET, en allant relever son petit poste, ne retrouve que le caporal CUVELLIER aux trois quarts enterré, le reste du poste a disparu, enseveli peut-être par l’explosion de la mine. Bien vite, quelques hommes disponibles de la compagnie, une demi-section de la 9e compagnie, des pionniers, viennent pour assurer le service de surveillance et tâcher de dégager les ensevelis, en dépit du " crapouillotage " qui continue.
Pendant la journée du 7 août, les engins de tranchée ennemis sont particulièrement actifs. Vers 17 heures, un terrible barrage de torpilles se déclenche. Un groupe ennemi (1 officier et 10 hommes) tente d’enlever un petit poste commandé par le sergent Fossioz. Tous ses hommes sont mis hors de combat; resté seul, il tient tête à l’attaque et à coups de grenades, à coups de fusil, oblige les assaillants à se retirer bien que quatre d’entre eux aient réussi à se glisser à 10 mètres de lui.
Pendant le séjour aux Éparges, la 10e
compagnie est la plus éprouvée; ses pertes
s’élèvent à 8 tués, 28
blessés, 9 disparus. Son chef, le capitaine GANTER, en
raison de sa belle conduite pendant ce séjour si
pénible pour sa compagnie, est cité à
l’ordre de l’armée en ces termes
" Officier énergique et d’une brillante
bravoure. S’est dépensé sans compter pour
soutenir le moral de sa troupe soumise à un violent
bombardement à la suite d’une explosion de mine
qui avait causé des pertes sérieuses et avait
été suivi de deux attaques allemandes,
repoussées. Contusionné par une torpille, a
gardé le commandement de, sa compagnie, qu’il ne
voulait pas abandonner au moment du danger. "
LE COURT REPOS A HAUDAINViLLE. - Le 10 août, tout le régiment se rassemble à Haudainville après avoir, été relevé par le 85e . Des bruits d’attaque courent sous le manteau; du reste, les préparatifs effectués ne laissent guère de doute distribution de quatre jours de vivres de réserve, de cartouches, de grenades, de sacs à terre, d’artifices de toutes sortes.
Le colonel DESTEZET, sachant qu’un nouvel et pénible effort va être demandé à son régiment, lui adresse l’ordre du jour suivant
" SOLDATS DU 140e ,
Une fois de plus, la France fait appel à votre esprit de dévouement et de sacrifice; une fois de plus, vous allez revoir un secteur où vous avez souffert mais aussi lutté héroïquement. " Jusqu’ici, devant Verdun, vous n’avez jamais perdu un pouce de terrain; cette fois encore tenez ferme jusqu’au jour de la victoire définitive, désormais certaine, sinon prochaine. "
LE SECTEUR DE RETEGNEBOIS. - Le régiment doit relever le 75e R. I. à Retegnebois, en avant de la batterie de l’Hôpital où se trouve le P. C. du colonel. Le 2e bataillon monte en ligne dans la nuit du 11 au 12; les deux autres bataillons montent la nuit suivante : le 1er en ligne à droite du 2e, sur la route du fort de Tavannes à Vaux; le 3e en réserve entre le fort de Souville et la batterie de l’hôpital.
Physionomie du secteur. - Le régiment est dans la partie ouest de ce qui fut le bois de Vaux-Chapitre. Le 2e bataillon est même à cheval sur la lisière. Des mois de bombardement intense ont arraché les branches, déchiqueté les troncs, arraché plus d’une souche et le sol bouleversé ne porte plus trace de végétation. En vain chercherait-on le moindre brin de verdure. Des simulacres de boyaux subsistent encore; l’un d’eux porte encore, sur le plan directeur, le nom de l’étang de Vaux, mais si un tronçon nous demeure, l’étang est bien loin dans les lignes ennemies. Devant soi, se dressent les crêtes que couronnent les forts de Vaux et de Douaumont tombés, hélas! aux mains de l’ennemi après avoir été si âprement défendus; mais celui de Souville et celui de Tavannes, dont on aperçoit la brèche creusée par une explosion formidable, tiennent encore et nous saurons bien empêcher l’ennemi de les aborder. Des fragments de rails tordus et dispersés attestent qu’une voie étroite passait là, reliant deux forts. Des débris de canons et de caissons, des obus par hasard intacts indiquent qu’un groupe de 75, en batterie à la lisière même du bois, a été broyé sur place. Des abris précaires ont tenu comme par miracle, et dans l’un d’eux, trou noir étroit, où l’on. entre en rampant, s’est installé le P. C. du 2e bataillon. Un autre groupe, plus en arrière, à la lisière nord, a subi le même sort, et l’on voit encore un canon dresser désespérément vers le ciel sa bouche devenue muette.
Dans cette terre de désolation, les obus ennemis tombent plus ou moins drus, suivant les heures, mais sans arrêt : 77, 105, 150 sont si nombreux qu’on ne saurait songer à les compter; 210 qui en colonne par quatre avec un bruit infernal vont ébranler les routes de la batterie de l’Hôpital.
Et les hommes vivent dans cette avalanche de fer et de feu, dans cet enfer. Tapis au fond des trous d’obus, le jour on peut ignorer leur présence; de temps à autre un coureur s’en va par bonds rapides d’un P. C. à l’autre. Mais dès que la nuit tombe ce champ de bataille s’anime et un peuple entier semble sortir de terre; les corvées de ravitaillement ramassent vivement bidons et bouthéons et s’en vont chercher à manger et surtout à boire; des patrouilles silencieuses et rampantes glissent vers l’ennemi; tous ceux qui restent creusent fiévreusement la terre, car un trou un peu profond, une tranchée praticable, un boyau où l’on puisse circuler, c’est pour beaucoup le salut; mais, pendant le jour, l’artillerie ennemie bouleverse tout et chaque soir avec -une ardeur sans cesse’ renouvelée on se met au travail.
LA PRÉPARATION DE L’ATTAQUE. - Une opération offensive est projetée et le commandement donne des ordres pour la construction des parallèles de départ, tandis que les avions essaient, de temps à autre, de survoler les lignes et que l’artillerie française devient plus active, mais son tir est très mal réglé et les obus courts trop nombreux bouleversent nos organisations de première ligne, mettant les défenseurs hors de combat, en particulier vers la gauche du secteur du régiment. Tous les efforts tentés pour obtenir l’allongement du tir seront vains. L’attaque est décidée pour le 18 août, à 15 heures. Dans la nuit du 17 au 18, le 3e bataillon monte en ligne et s’établit entre les 1er et 2e bataillons qui serrent sur les ailes. Le 18, au matin, la préparation d’artillerie redouble et nous inflige de lourdes pertes, aidée en cela par l’artillerie allemande dont les batteries de la Woëvre nous prennent d’enfilade. Des unités du 415e envoyées en renfort au 140e subissent le même sort; un peloton de la 7e compagnie de ce régiment, venu dans le secteur de la 5e compagnie du 140e , le 17, à 22 heures, doit être relevé le lendemain, à 10 heures, par suite des pertes subies. La 6e compagnie subit de telles pertes, par suite de notre tir trop court, que la 7e compagnie qui était en réserve la remplace le 18 au matin. Vers 10 heures, la tranchée de première ligne, devenue intenable, est évacuée par la 5e compagnie qui vient s’établir 200 mètres plus en arrière, le long d’une voie de 60 qui desservait les forts et les batteries, et malgré ce repli, un quart d’heure avant l’attaque, un obus de 155 tombe au milieu d’un groupe et met 14 hommes hors de combat.
Les deux autres bataillons ont également à souffrir des coups trop courts de notre artillerie.
L’EXÉCUTION DE L’ATTAQUE. - En dépit des conditions matérielles et morales défectueuses, à 15 heures, d’un seul élan, tout le régiment s’élance à l’assaut des lignes ennemies. La 7e compagnie, partie magnifiquement, progresse d’abord sans pertes puis, brusquement, plusieurs mitrailleuses ouvrent le feu, obligeant les assaillants à se terrer. Des contre-attaques à la grenade ont raison successivement de tous les petits groupes terrés dans les trous d’obus. Le lieutenant VALLIER, commandant la compagnie, est tué d’une balle à la tête, tandis qu’il fait le coup de feu sur l’ennemi. Tous les chefs de section sont tués les uns après les autres. A la nuit, seuls 1 fourrier et 6 hommes regagnent nos lignes. La 5e compagnie en une vague unique, étant donné son effectif réduit, pousse jusqu’à la première ligne ennemie dans la quelle elle fait des prisonniers; mais sa gauche s’est heurtée à un blockhaus garni de trois mitrailleuses qui non seulement arrêtent toute progression mais fauchent les assaillants qui ont atteint la tranchée allemande prise d’enfilade. Le peloton du 415e, placé entre la 5e et la 7e compagnie, arrêté devant le même blockhaus, au milieu des abatis, fond en quelques minutes accroché aux défenses accessoires que notre artillerie a laissées intactes. Le 3e bataillon à peine sorti de la parallèle de départ (9e et 11e compagnies en première vague, 10e compagnie en soutien) est arrêté par des feux violents de mitrailleuses et un barrage de grenades; il reste accroché au terrain et sa progression est enrayée. Le 1er bataillon, plus heureux, pénètre profondément dans les lignes ennemies, atteint rapidement ses Objectif s, et, emporté par son élan, les dépasse même. La compagnie de droite (2e compagnie) parvient rapidement aux Objectifs qui lui ont été fixés, faisant bon nombre de prisonniers. L’ennemi a subi de lourdes pertes et fuit démoralisé. La compagnie du centre (1re compagnie) a progressé rapidement dans la tranchée de Fulda jusqu’à hauteur du Petit-Dépôt. La 3e compagnie à gauche s’est heurtée aux Allemands qui s’étaient portés jusque dans notre ligne avancée pendant la préparation d’artillerie, mais électrisée par son chef, le capitaine HENRY, qui s’élance en avant, revolver au poing, en criant : " En avant la 3e,Vive la France ! " , elle les bouscule, enlève successivement deux lignes de tranchées ennemies et pousse même jusqu’à l’Ouvrage Blanc.-. Mais cette belle progression ne va pas sans de lourdes pertes : le capitaine HENRY est tué; la 2e compagnie n’ayant plus d’officiers, le sous-lieutenant BIESSY de la 1er compagnie en prend 1er commandement.
Au cours de l’attaque, l’adjudant HÉBRON
a pris le commandement de la 1re compagnie et a su
bien la conduire, ce qui lui a valu d’être
décoré de la Médaille militaire avec le
motif suivant
" Chef de section remarquable. Lors de l’attaque
du 18 août 1916, tous ses Officiers étant hors de
combat, a pris le commandement de sa compagnie et fait
organiser la position conquise sur laquelle il s’est
maintenu avec une poignée d’hommes. Blessé
sérieusement dès le début de
l’action, n’a quitté son commandement que
trois jours après sur l’ordre formel du
médecin. Déjà cité à
l’ordre. "
" Le lieutenant DREVET, qui a eu un rôle
particulièrement brillant au cours de l’attaque,
sera fait chevalier de la Légion d’honneur "
Officier d’une haute valeur morale. Chargé le 18
août 1916 d’attaquer, à la tête
d’une colonne de grenadiers, la plus forte organisation
ennemie du secteur et ayant été blessé
dès le début de l’action, a caché sa
blessure à ses hommes; a poussé
énergiquement l’opération jusqu’au
succès et à la poursuite; est resté sur la
position conquise jusqu’à l’extrême
limite de ses forces et en a assuré la conservation.
Déjà cité à
l’ordre. "
Le sergent BERGIN (3e compagnie) se bat avec un
acharne ment farouche que décuple le désir de
venger son père tombé au champ d’honneur.
Atteint d’une balle au coeur, il s’écrie
avant de mourir :
" Camarades, vengez mon père ! Vive la France ! "
Le caporal GIRAUD (3e compagnie), cerné pendant plusieurs heures dans les lignes allemandes, maintient le moral de ses camarades et réussit, par son audace, à rejoindre son unité; il a tenté, mais vainement, de ramener le corps de son capitaine; il réussit toutefois à rapporter celui du sergent BERGIN.
Le soldat MICOLLLER est parti à l’assaut avec sa bravoure habituelle, armé seulement d’une pioche avec laquelle il assomme un Officier allemand.
Les éléments encadrant le 1er bataillon n’ayant pas progressé, celui-ci est dans une situation critique; les éléments trop en flèche sont reportés sur l’ancienne ligne de soutien allemande que l’on Organise immédiatement en établissant la liaison, à droite avec le 415e, à gauche avec le 3e bataillon. Ce dernier regagne à la nuit ses positions de départ. Dans le secteur du 2e bataillon, la ligne est reformée avec les quelques survivants de la 5e (une trentaine); les quelques mitrailleurs de la C. M. 2 qui restent encore, les rescapés de la 7e compagnie, les pionniers mis à la disposition du bataillon, une section du 415e et la 6e compagnie. La nuit est assez calme, bien que les rafales de mitrailleuses ennemies soient fréquentes. Quelques Allemands viennent se perdre dans nos lignes. La journée du 15 s’écoule sans incidents notables, l’activité de l’artillerie ennemie a bien diminué.
LA RELÈVE. - A partir du 19 août, le régiment est relevé par le 415e et le 367e, descend à Belrupt et de là à Rambluzin. Le 22 août, le régiment a repassé la Meuse.
Du 10 mars au 22 août le régiment a eu dans ce secteur mouvementé
14 officiers tués et 34 blessés, 534 hommes tués, 1.422 blessés et 186 disparus, soit 2.142 pertes au total, dont plus de 830 pour la dernière période, à Retegnebois. Le 18 août en particulier, il y a eu 7 offIciers tués et 12 blessés; 520 hommes tués, blessés ou disparus.
Le régiment n’a pas perdu un pouce du terrain confié à sa garde; il en a gagné dans le bois de la Caillette et fait une centaine de prisonniers à Retegnebois.
LE REPOS DANS LE VERDUNOIS. - Le 22 août, le régiment se rend dans la région de Longchamps- sur-Aire où il reste une semaine. Le 29, il va cantonner à Loisey et Salmagne. Le 31 août, sur le plateau de Salmagne, a lieu une prise d’armes pour remettre un certain nombre de croix de guerre et la Légion d’honneur au médecin aide-major DE SÈZE du 3e bataillon. Elle lui avait été accordée à la date du 19 juin, avec le motif suivant " Médecin d’une haute valeur morale, servant sur sa demande dans un corps de troupe; n’a cessé de se signaler par son activité et son dévouement inlassables. Au cours de récents combats, s’est prodigué nuit et jour dans les circonstances les plus difficiles pour assurer, d’une façon parfaite, l’évacuation de tous les blessés et a fait l’admiration de tous par son énergie et son calme courage. "
LE SÉJOUR DANS LA RÉGION DE REIMS
LE DÉPLACEMENT. - Le régiment est au repos jusqu’au 3 septembre, date à laquelle il embarque à Longeville, à destination de Fismes.
Le régiment se trouve dans les confins de ÎLE-DE-FRANCE, au point de contact du Tardenois et du Soissonnais avec la Champagne.
LE SECTEUR DU CHOLÉRA. - Le régiment fait partie de la Ve armée; il est destiné à relever le 118e R. I. dans le secteur du Choléra, à l’est de Berry-au-Bac. Les reconnaissances ont lieu le 6 septembre et, le 7 au soir, le régiment monte en secteur. Les 1er et 2e bataillons sont en première ligne, le 3e bataillon en réserve au camp des Grandes-Places (sud est de Cormicy). Le P. C. du colonel est au bois de la Marine. Le secteur est très calme, et le paraît d’autant plus que depuis six mois le régiment n’a connu que des secteurs de bataille.
PÉRIODE DE RÉSERVE. - Le quartier du Choléra passant dans le secteur de la 69e D. I., le 2e bataillon est relevé par le 332e R. I., dans la nuit du 13 au 14, et se rend à Prouilly en réserve du 38e C. A. Le 15 au soir, le 1er bataillon, relevé par le 75e R. I., se rend à Guyencourt. Le 3e bataillon est réparti entre Cormicy et le camp des Grandes-Places. Le colonel rentre à Guyencourt le 16 au soir ainsi que la musique.
Le régiment reçoit de nouveaux renforts. Le chef d’escadron CHARLES-ROUX vient comme adjoint au chef de corps.
Le 18 au soir, le 1er bataillon se rend à Villers-aux-Noeuds, tandis que le 2e bataillon, la C. H. R. et F. E. M. se rendent à Champfleury. Deux compagnies du 2e bataillon sont détachées au fort de la Pompelle.
LE SECTEUR DE BERRY-SAPIGNEUL. - A partir du 10 octobre, le régiment va remonter en ligne vers Berry-au-Bac. Le 1er bataillon relève dans le quartier de Berry-au-Bac, le 3e dans celui de Moscou et le 2e dans celui de Sapigneul. Le P. C. du colonel est au bois de la Marine. Jusqu’en fin novembre, le régiment va tenir le secteur. Dans l’ensemble, celui-ci est assez calme. Cependant, 1er quartier de Moscou, cote 108, est parfois très agité. L’ennemi dispose de puissants engins de tranchées et tente fréquemment des coups de main. De plus, la guerre de mines est largement pratiquée de part et d’autre. Le quartier de Sapigneul est soumis à deus tirs parfois violents d’engins divers.
Le régiment continue dans ce secteur les travaux dont il est coutumier, travaux d’organisation et d’amélioration, souvent gênés et même détruits par les tirs des engins de tranchées ennemis. Le caporal MALRIC se distingue, dans ces travaux d’organisation, par un tour de force peu banal. Il s’est offert spontanément pour poser, à la nage, un barrage de fil de fer dans le canal à un endroit très large (gare d’eau), à proximité des petits postes ennemis, et a exécuté avec audace et bonheur sa périlleuse mission.
L’activité des engins de tranchées ennemis est périodique. Tous les deux ou trois jours, les Allemands déclenchent, soit à la cote 108, soit devant Sapigneul, soit dans les deux quartiers à la fois, des tirs de destruction prolongés, surtout pendant le jour ou des rafales d’une demi-heure, à plusieurs reprises, dans le cours de la nuit.
Une mine allemande saute le 22 octobre à 11H15, à la cimenterie; à la faveur de l’explosion, un groupe d’une dizaine d’Allemands tente d’enlever un petit poste de la 10e compagnie. Un combat à la grenade s’engage; l’ennemi est mis en fuite laissant un prisonnier entre nos mains. Le 7 novembre, à 23 heures, une autre mine allemande saute dans la région du Champignon; nouvelle mine le 17 novembre au même point. Contrairement à l’ordinaire, elles ne sont suivies d’aucune action d’infanterie, car les Allemands tentent presque toujours des coups de main à la faveur des explosions de mines, tentatives qui sont du reste toujours repoussées. Au cours de l’une d’elles, l’adjudant SABATIER, dont une explosion de mine vient de bouleverser le secteur et de blesser une partie des sentinelles, s’élance vaillamment avec deux hommes au-devant d’une forte reconnaissance allemande qui aborde nos tranchées, tue de sa main un patrouilleur ennemi et met les autres en fuite. Mais, si les pionniers allemands sont actifs, les nôtres ne restent pas en retard; le service d’écoute bien organisé permet de prévoir la mise à feu des fourneaux de mine ennemis; les petits postes menacés se replient, et on a le minimum de pertes à déplorer; d’autre part, camouflets et mines se succèdent avec une rapidité impressionnante : le 25 octobre, deux camouflets, l’un à 13 heures, l’autre à 13 H 35 vers le Champignon; le 29, à 19h 50, une mine française dans la même région; le 7 novembre, camouflet vers la cimenterie à 18 H 30; le 19, à 22H 30, explosion d’une mine au même endroit; le 25, nouveau camouflet à 18H20 vers le Champignon, etc.
Les patrouilles françaises sont très actives. De nombreuses reconnaissances sont effectuées dans les environs de la cimenterie. Des cisaillements de réseaux sont effectués en vue d’un coup de main sur le point 161. Ce coup de main a lieu le 2 novembre, mais ne donne aucun résultat. Des patrouilles de reconnaissance sont fréquemment envoyées, en outre, aux abords du vélodrome et de l’écluse nord où les défenses accessoires de l’ennemi reconnues très solides sont également entamées à la cisaille.
L’activité ennemie, vers la fin du séjour, se manifeste sur tout dans le quartier de Sapigneul; le bastion d’Aguilcourt est violemment pris à partie par les torpilles. Le 13 novembre, une brèche énorme a été pratiquée par ce moyen dans nos défenses accessoires, et, le 14 au soir, l’ennemi tente un coup de main sur les travailleurs occupés à réparer la brèche; les hommes de la patrouille de protection, pris sous une violente rafale de torpilles sont presque tous blessés et deux d’entre eux tombent aux mains de l’ennemi. Le 22 novembre, celui-ci sera moins heureux devant la cimenterie; les deux groupes qui tentent, vers 22 heures, d’assaillir deux de nos petits postes, sont chassés à coups de fusil.
La circulation ennemie à l’arrière du front, faible au début du séjour, devient intense vers la fin. L’activité des deux aviations est très variable et faible en général. Cependant, la deuxième quinzaine de novembre étant belle, les avions exécutent alors d’assez nombreuses sorties.
NOUVELLE PÉRIODE DE RÉSERVE. - Dans les dernières journées de novembre, le régiment est relevé par le 75e R. I. Le 1er bataillon se rend à Cormicy, le 3e à Villers-aux-Noeuds, tandis que le 2e bataillon, la C. H. R. et F. E. M. reviennent à Champfleury. Le 2e bataillon détache à nouveau une compagnie à la Pompelle.
Le bataillon de Cormicy est employé aux travaux; les deux autres fournissent des travailleurs au génie pour l’organisation de la deuxième position, au sud de Reims, tout comme lors du premier séjour, et reprennent l’instruction. On profite de cette période de repos pour vacciner les hommes contre la typhoïde.
Le 9 décembre, la 2e compagnie relève la 6e compagnie à la Pompelle; le 16 décembre, la 5e remplace la 2e .
La C. M. 2 est envoyée au C. I. D. à Prouilly comme compagnie d’instruction; elle y restera du 10 au 30 décembre.
Le 11 décembre, le 3e bataillon quitte Villers-aux-Noeuds et se rend à Thillois, tandis que la C. M.3 vient à Champigny,
Des prises d’armes ont lieu dans chaque bataillon afin de remettre la Croix de guerre aux soldats cités à Verdun et qui n’ont pas encore été décorés.
LE COUP DE MAIN DU 30 DÉCEMBRE. - Le 30 décembre, un coup de main, ordonné par la 27e D. I. est exécuté sur les tranchées allemandes du quartier de la Neuville, à l’est de Sapigneul.
Le groupe d’exécution sous le commandement du lieutenant CAOUZENOUX est chargé de reconnaître si l’ennemi a fait des installations en vue d’une attaque par les gaz, de rapporter des renseignements et de faire si possible des prisonniers.
L’ennemi ayant évacué le terrain bombardé, la reconnaissance, après avoir atteint son objectif, ne ramène aucun prisonnier.
1917 |
LE SÉJOUR AU CAMP DE POILLY. - A cette période de repos réparateur, va succéder une période d'instruction intensive que le régiment passera au camp de Poilly, près de Ville-en-Tardenois. Dans cette région, s'étendent d'immenses terrains de manoeuvre, car c'est la partie la plus pauvre du Tardenois où le plateau calcaire, avec ses larges ondulations, ses pine raies, ses maigres cultures et ses rares villages rappelle, quoique en moins stérile, la Champagne Pouilleuse.
Le 4 janvier, tout le régiment se trouve rassemblé, le 1er bataillon étant à Poilly et les autres unités dans les baraquements du camp.
L'instruction des unités est reprise suivant une progression très sévère. On reprend d'abord l'étude des spécialités, ensuite l'instruction de la compagnie et du bataillon, puis, à partir du 8 janvier, on fait des exercices de cadres et des manoeuvres avec troupe de régiment et de division.
Le 14 janvier, la période d'instruction est terminée. Elle a été pénible surtout en raison du froid et du mauvais temps continue.
LE SÉJOUR DANS LA SOMME
LE DÉPLACEMENT. - Dans la deuxième quinzaine de janvier, le régiment se rend dans l'Oise par une série d'étapes au cours desquelles il traverse une bonne partie de l'Ile-de-France. Les conditions atmosphériques sont défavorables en raison de la neige et du froid très vif; mais chacun a à coeur de ne pas rester en arrière, et le régiment n'a presque pas laissé de traînards.
Le 24 janvier, le régiment cantonne dans une formation assez dispersée aux environs de Méru. Les travaux de propreté, des revues, quelques séances d'instruction, occupent les unités jusqu'à la fin du mois.
Dans les premiers jours de février, la division doit monter en secteur-en avant de Warvillers, dans une région que le régiment connaît déjà, le Santerre, à quelques kilomètres au sud de Lihons.
Le 31 janvier, les reconnaissances sont amenées en camion. Les unités suivent en faisant également mouvement en T. M.
LE SÉJOUR EN SECTEUR. - Le 4 au soir, le 3e bataillon commence la relève; le 2e bataillon monte le lendemain. Le 6 février, le 140e a entièrement relevé le 330e R. I. et son dispositif est le suivant le 1er bataillon : en réserve au Quesnel avec une compagnie et un peloton de la C. M. 1, détaché à Beaufort;
2e bataillon : C. R. d'Iéna en liaison à droite avec le 75e ;
3e bataillon : C. R. Wagram à gauche d' Iéna en liaison avec le 416e R. I.
Le P. C. du colonel est à Kouropatkine.
Le secteur est situé à l'extrême sud de l'ancien champ de bataille de la Somme. Au nord, sur la gauche, on aperçoit un monticule blanchâtre qui indique l'emplacement de Chilly. Le terrain est creusé d'un quadrillage serré de parallèles et de boyaux, dont la majeure partie est devenue inutile et qu'il faut barrer et combler de fil de fer pour empêcher l'infiltration ennemie. Son état d'entretien laisse beaucoup à désirer, mais le régiment, par un travail persévérant, arrivera à l'améliorer considérablement. La tâche n'est cependant pas commode. Un froid extrêmement vif durcit la terre jusqu'à une grande profondeur (80 centimètres à 1 mètre). Les travaux de terrassement deviennent bientôt impossibles et les réseaux ne peuvent plus être établis qu'avec des chevaux de frise. L'activité ennemie se manifeste surtout par le tir de temps à autre de quelques engins de tranchées, dont une certaine proportion sont chargés de gaz toxiques. Elle marque une phase d'activité particulière du 13 au 17 février, dans le saillant du C. R. Wagram où, à la faveur des destructions opérées, l'ennemi tente sur la 3e compagnie un coup de main qui échoue. Les nombreuses patrouilles exécutées dans chaque C. R. ne donnent lieu à aucun incident. Le 10 février, le 1er bataillon a relevé le 3e, et ce dernier relève à son tour le 2e bataillon dans la nuit du 16 au 17, les relèves des C. M. étant décalées d'un jour. A partir de cette date, la température s'adoucit, la pluie tombe et le dégel commence, dégel terrible qui transforme le secteur en une mer de boue et, malgré l'énergie déployée, le résultat sera à peu près nul. Les tranchées de première ligne sont comblées; la ligne de surveillance, noyée par endroits, doit être déplacée; un seul des grands boyaux de communication est entretenu à grand'peine, et cependant tout le bataillon de réserve travaille activement. La circulation à l'avant devient presque impossible dans les boyaux, les hommes montent sur le terrain libre, l'ennemi en fait autant, sans que le nouvel état de choses amène d'autres perturbations dans le secteur.
LA RELÈVE PAR LES ANGLAIS. - Les Anglais doivent étendre leur front, et le régiment doit incessamment être relevé par les soins de l'armée britannique. Le 22, les reconnaissances arrivent en secteur et le déménagement du matériel français commence. Toutes les précautions sont prises pour garder le secret de la relève; elle a commencé le 24 en plein jour, à la faveur du brouillard, et les soldats anglais, trouvant les boyaux pleins de boue trop incommodes, se rendent en ligne par-dessus les tranchées.
LE SÉJOUR A PROXIMITÉ DU CAMP DE CRÈVECOEUR. - La relève terminée, le régiment va effectuer une série d'étapes qui vont l'amener dans la région de Saint-Maur, dans le Beauvaisis, où il arrive le 2 mars.
Une semaine de repos est accordée au régiment, qui en profite pour reprendre activement l'instruction, surtout l'étude des opérations offensives. Les étapes ont été dures et pénibles en raison du mauvais temps, des chemins boueux et de la médiocrité des cantonnements. On parle d'une attaque prochaine, d'un repli allemand devant Roye et Lassigny, en direction de Saint-Quentin, repli qui serait en préparation, mais tout cela sous la forme de " canards " plus ou moins incertains. Toujours est-il que le 7 mars, le régiment revient sur ses pas et vient cantonner en entier, après deux étapes, à Bonneuil-les-Eaux, où il s'arrête une nouvelle semaine. La D. I. doit être engagée devant Roye et le colonel donne connaissance aux officiers du plan d'engagement.
LE REPLI ALLEMAND DEVANT SAINT-QUENTIN
Brusquement, le 14 au soir, arrive un ordre de mouvement; le lendemain matin, le régiment se met en route. La deuxième étape l'amène à Davenescourt, où il s'établit en cantonnement d'alerte.
A LA POURSUITE DE L'ENNEMI. - Le 14e C. A., sous les ordres du général MARJOULET, va être engagé en direction de Roye; la 28e division au sud de l'Avre; la 27e D. I., sous les ordres du général BARTHÉLEMY, au nord de cette rivière. Il est à peu près certain que l'ennemi est en train d'exécuter un vaste repli stratégique afin de raccourcir son front, de se ménager ainsi des réserves et d'empêcher l'armée française d'utiliser une bonne partie du front d'attaque qu'elle a préparé. L'attaque est décidée pour le 17 au matin et la Ille armée, dont fait partie la 27e D. I., doit conserver le contact avec l'ennemi.
Le 52e et le 75e montent en secteur et seront en première ligne; le 140e R. I. est réserve de division.
LA MARCHE SUR ROYE - Ce jour-là, à 7 heures du matin, se déclenche l'attaque française. Les premières lignes allemandes sont franchies sans difficulté; quelques rares prisonniers tombent entre nos mains. Les Allemands ont deviné notre attaque et sont déjà bien loin, ayant laissé de rares groupes jusqu'au dernier moment. Le 140e reçoit dans la matinée l'ordre de se porter en avant A 10 heures, il quitte Davenescourt et gagne Guerbigny par la vallée de l'Avre.
Arrivé à Guerbigny, à 13 heures, le régiment reçoit l'ordre d'occuper immédiatement les anciennes tranchées de départ, les 1er et 2e bataillons en première ligne, le 3e bataillon en réserve. Pendant que chefs de bataillon et commandants de compagnie font les reconnaissances nécessaires, les unités stationnent dans Guerbigny, petit village accroché au flanc abrupt de la vallée et que les obus ont mis à mal, étant donnée la proximité des lignes. On n'a pas de renseignements bien précis sur la situation. On n'entend pas un coup de canon, des drachens progressent; un peloton de cavaliers attend dans un chemin creux l'ordre d'aller en avant (ou en arrière); l'attaque en cours ne rappelle en rien les précédentes. Le régiment exécute le mouvement prévu et s'étale sur le plateau au nord de l'Avre. Andechy, en ruines, se présente à nos yeux; mais l'ennemi ne donne pas signe de vie. Des avions d'accompagnement viennent lâcher fréquemment des messages lestés; des convois d'artillerie sont embouteillés devant Andechy, où le génie travaille activement à rétablir le passage. Pendant ce temps, les régiments de première ligne atteignent, dépassent Villers-les-Roye et s'approchent de Roye, si bien que le régiment reçoit l'ordre de continuer sa progression; il franchit les lignes ennemies, où de nombreux abris incendiés le matin même fument encore, et les 1er e t 2e bataillons viennent au bois Albéric, tandis que le 1er vient au bois du Mauvais-Accueil. Des renseignements nous apprennent que les Allemands sont bien loin et les hommes allument des feux de bivouac pour se réchauffer. A la tombée de la nuit, vers 18 heures, arrive l'ordre de s e porter à Roye. Des entonnoirs immenses coupent les carrefours, et il faut les éviter soigneusement. De tous côtés, vers l'est et le nord, s'allument des incendies, dies, car les Allemands en se retirant incendient tous les villages. L'entrée dans Roye est une véritable acrobatie; le pont de la route sur le ruisseau est coupé; le pont du chemin de fer a sauté et rails et traverses encombrent la route dont plusieurs immenses entonnoirs agrémentent l'aspect chaotique. En colonne par un, le régiment met des heures entières pour pénétrer dans Roye, où il passe la nuit. Les quelques civils qui sont restés, des vieux, des malades, des infirmes, des enfants, sont dans un état lamentable et n'en peuvent croire leurs yeux de voir des Français. Pendant la dernière nuit, les Allemands leur ont donné l'ordre de s'enfermer dans les caves. Au petit jour, ils ont entendu des explosions formidables, puis plus rien, jusqu'au moment où les soldats en bleu horizon, couleur sous laquelle ils ne connaissaient pas le soldat français, ont fait leur entrée dans la bourgade dévastée. Le ravitaille ment arrive fort tard dans la nuit, et la plupart des hommes, fatigués, ne se dérangent môme pas, préférant dormir.
Le lendemain au jour, chacun peut se rendre compte de l'immensité de la dévastation et des ruines que l'ennemi a accumulées derrière lui : des mines ont crevé la place d'entonnoirs immenses aux quatre coins. Beaucoup de maisons ont subi le même sort et montrent éventrés des intérieurs que l'Allemand a pillés. Les puits ont été souillés ou contaminés. Une razzia systématique a été organisée et les malheureux habitants n'auraient plus rien pour vivre si l'armée française n'était pas là.
LA CONTINUATION DU MOUVEMENT EN AVANT. - Le 18 mars dans la matinée, le régiment quitte Roye et prend les avant postes sur la ligne générale Marché-Allouarde-Réthonvillers -Tilloy-Gruny. Le 1er bataillon est à l'est à cheval sur la route Roye-Nesle, en liaison avec la 28e D. I. Le 2e bataillon est à l'ouest, au nord de Gruny, en liaison au delà de la Ferme de l'Abbaye, avec l'armée britannique. Le 3e bataillon est en réserve aux abords de la chapelle de Vaucourt, où se trouve le P. C. du colonel. Un escadron du 9e hussards mis à la disposition du régiment détache un peloton pour couvrir le flanc droit du 1er bataillon, dans la direction de Solente et Balâtre.
Des reconnaissances de cavalerie envoyées sur Nesle font connaître que la ville est évacuée par l'ennemi. Dans la soirée, la 1re compagnie s'y portera pour garder les ponts. A la tombée de la nuit, le 2e bataillon relevé par l'armée anglaise, qui s'est installé plus en avant et occupe Sept-Fours, se rassemble à Gruny où l'E.-M., la C. H. R., les 9e et 11e compagnies viennent également.
L'ARRÊT A BREUIL. - Le lendemain, à travers des régions dévastées, le régiment se porte en entier à Breuil, où il s'installe dans les ruines encore fumantes. C'est partout le même spectacle de désolation qui se présente à nos yeux. Tons les villages que nous rencontrons ont été incendiés; la population a disparu, emmenée en captivité, à l'exception des vieillards, des infirmes, des malades, des jeunes enfants, qu'ils ont entassés dans quelques rares villages qu'ils n'ont même pas complètement respectés; les carrefours ont été minés et de profonds entonnoirs interrompent les routes; les arbres qui les bordaient par endroits ont été coupés et couchés en travers. Les voies ferrées sont complètement détruites; partout où elles étaient doubles, l'une d'elles a été ramassée et l'autre a tous ses rails coupés au pétard; les ponts de toute nature ont sauté, ce qui rend la poursuite très difficile et ardue, car si le fantassin peut se contenter d'une passerelle de fortune. son ravitaillement en munitions en vivre ainsi que son artillerie ne peuvent le suivre. Les vergers et les jardins ont été saccagés ; rien n'a trouvé grâce devant la rage du Boche : arbres fruitiers, arbres d'agrément, tout y a passé, même les inoffensifs rosiers, dans certains endroits, ne sont pas épargnés. Des champs emblavés sont passés à la charrue pour détruire la récolte. Tous les instruments agricoles ont été cassés, faussés ou jetés dans le feu, les voitures et chariots de toute nature, rendus inutilisables.
Bref, l'armée allemande, en se repliant, a laissé derrière elle un désert, ainsi qu'elle s'en est vantée, et l'avance de nos troupes, privées d'abris, de voies de. communication, en est rendue fort pénible.
A Breuil, le mauvais temps se met de la partie, et il faut cependant se mettre activement au travail; le pont sur le canal du Nord est coupé en deux; le génie a établi un pont à la hâte tout à côté et il faut construire une chaussée de fortune pour y accéder. Sous la neige, par les moyens les plus divers, on amène des débris de poutre, des briques provenant des ruines du village, et à la fin de la journée, les convois peuvent passer sans trop de difficultés.
LA RELÈVE EN AVANT DE SAINT-SIMON. - Le 21 mars au matin, le régiment quitte Breuil pour se rendre à Cugny; à Eppeville, il reçoit l'ordre de se porter sur Brouchy où il se rassemble en colonne de bataillon aux lisières du village.
Le régiment a devant lui le 1er C. A. C., qui a pris contact avec l'ennemi sur la ligne Artemps-Saint-Simon-Jussy.
Dans la soirée, le 3e bataillon relève un bataillon du 7e colonial à Ollezy et les deux autres bataillons relèvent le 23e colonial, aux abords de Saint-Simon. La relève s'effectue sans gros incidents. Le 2e bataillon traverse le canal Crozat sur une mauvaise passerelle construite sous les obus par le génie. La nuit est noire, il faut faire vite car l'artillerie allemande se met à tirer sur Saint-Simon et la passerelle, et plus d'un, glissant sur les planches mal jointes, prend un bon bain de pieds.
Le 2e bataillon garnit la tête de pont de Saint-Simon entre le canal de Saint-Quentin et le canal de la Somme. Il est en liaison à gauche avec le 30e près du calvaire d'Artemps, à droite avec le 75e à la ferme Camas. La 5e compagnie à gauche occupe la cote 93, la 7e compagnie à droite, Avesnes et la ferme Lamotte, et la 6e compagnie est en réserve à Saint Simon; la C. M. étage la ligne. Le 3e bataillon est établi en avant et à l'est d'Ollezy; le 1er bataillon est en réserve à Annois. Le P. C. du colonel est tout d'abord à Ollezy. Le régiment est entré dans le Vermandois, région largement ondulée, semée de villages agricoles, coquettement construits, autant qu'on peut en juger par les ruines qui subsistent, uniformément encadrés dans une ceinture d'arbres et qu'entourent souvent des chemins creux.
LA CONTRE-ATTAQUE ENNEMIE DU 22 MARS. - Pendant la nuit, l'ennemi manifeste sa présence en tirant sur Saint-Simon, Artemps et les passerelles conduisant à ces têtes de pont. Un peu de neige tombe et à l'aube, sur l'immensité blanche, aucun ennemi ne paraît. Mais bientôt son artillerie entre vigoureusement en action. Un barrage roulant semble se déclencher aux abords de Clastres et Essigny. Des fusées montent dans le ciel, puis des batteries, dont on voit les lueurs des coups de départ, prennent à partie les positions tenues par nos troupes au nord des canaux. Avesnes, Saint-Simon, Artemps sont soumis à un tir très violent. Des troupes ennemies s'avancent en formations d'approche; des silhouettes de cavaliers se dessinent parmi les petites colonnes. L'ennemi a progressé et aborde nos positions vers 9 heures; les cavaliers ont disparu, mais on distingue les mitrailleuses qui se mettent en batterie. L'ennemi dessine son attaque sur Artemps; la 6e compagnie est envoyée en renfort au 30e R. I. et la 9e compagnie vient la remplacer à Saint-Simon. La 6e compagnie est assez heureuse pour arriver sans pertes à destination, malgré un violent tir d'interdiction. Au même moment, la ferme Lamotte, violemment bombardée depuis le matin, subit l'assaut de l'ennemi. Le peloton qui l'occupe, aux trois quarts encerclé, ayant subi de graves pertes, les deux officiers étant blessés, succombe sous le nombre, et l'ennemi s'établit à la ferme, mais la résistance se réorganise sur Avesnes : la 10e compagnie est immédiatement envoyée pour empêcher toute tentative de progression ultérieure de l'ennemi; elle devait tout d'abord contre-attaquer et reprendre la ferme Lamotte, mais un glacis de plus de 1.000 mètres l'en sépare et l'on ne dispose d'aucune artillerie.
L'ennemi continue son tir d'artillerie. Il ne bat plus en retraite pour l'instant et semble vouloir nous rejeter au delà du canal. La situation du 2e bataillon n'est pas brillante; un canal et des marais à dos, pas de défenses accessoires et presque pas d'artillerie, celle-ci n'ayant pu arriver et prendre position en raison de l'état lamentable des communications. Toutefois, un barrage sera réglé dans l'après-midi entre la cote 93 et Artemps. En fin de journée, le 3e bataillon, qui a passé en entier le canal, s'établit à la droite du 2e bataillon et reprend le contact avec le 75e . Deux escadrons du 1er cuirassiers ont fait de même dans l'après-midi pour être mis à la disposition de l'un et de l'autre bataillons. Le 1er bataillon quitte Annois et vient prendre la place du 3e à Ollezy.
A la nuit, l'ennemi prononce une nouvelle attaque sur Artemps. Des unités du 30e , fortement éprouvées, sont bousculées, mais la belle attitude des 5e et 6e compagnies permet de maintenir la ligne. Le barrage français déclenché à propos oblige l'ennemi à accélérer sa retraite. Le reste de la nuit se passe dans le calme et au jour le silence le plus complet règne sur le champ de bataille.
LA POURSUITE RECOMMENCE. - Mais si l'ennemi a rompu le contact, nous allons chercher à le reprendre, car la 27e D. I. a reçu l'ordre de se porter tout entière en avant et doit attaquer sur le front Clastres-Montescourt-Lizerolles. Le 1er bataillon est chargé de l'attaque de Clastres; le 2e bataillon doit suivre sa progression et venir s'établir sur le chemin de terre Artemps-Clastres; le 3e bataillon sera en réserve. Mais à 9 heures, un renseignement de patrouille fait connaître que Clastres est inoccupé; dès lors, le plan d'engagement est modifié, et le 3e bataillon prend part à l'attaque, reprend la ferme Lamotte et occupe Clastres à 10 heures, sous un violent feu d'artillerie et même de mitrailleuses. Le 1er bataillon vient s'établir à l'ouest du village, le 2e bataillon exécute le mouvement prévu précédé d'un barrage roulant devenu inutile, l'ennemi étant bien loin, à l'exception des avions qui nous survolent fréquemment. Les unités se regroupent et s'organisent.
Dans la soirée, le régiment est réorganisé en profondeur; le 1er bataillon occupe Clastres tout en maintenant la liaison avec la 28e D. I. et le 75e ; le 3e bataillon vient occuper la cote 98, Avesnes et Camas; le 2e bataillon repasse le canal et vient à Annois (trois compagnies) et Flavy-le-Martel où il campe sous la tente, Annois étant rasé et Flavy incendié. Le P. C. du colonel est transporté au château de Savriennois.
A partir du 24 à midi, la 27e D. I. reprend sa marche offensive; une compagnie de chacun des 1er et 3e bataillons attaque la cote 117 qui est enlevée après une assez vive résistance. La ferme Le Fay est enlevée à 15 heures par la 3e compagnie. A 15H 30, le 1er bataillon continue son mouvement offensif sur Benay, couvert à gauche par le 3e bataillon, mais les mitrailleuses ennemies et un violent tir de barrage l'obligent à s'arrêter à 700 mètres à l'est de la cote 85. Pendant ce temps, le 2e bataillon a quitté Annois et par Flavy-le-Martel et la ferme Camas où des avions lui lancent des bombes à la traversée du canal, gagne Clastres que l'artillerie ennemie bombarde violemment toute l'après-midi. Les unités passent la nuit sur place. Le 25 au matin, la poursuite recommence. Benay, préalablement soumis à une préparation d'artillerie, est attaqué par le 1er bataillon qui progresse, malgré un violent tir de mitrailleuses et le tir de barrage ennemis. A 8H 30, le village est entièrement occupé. Le 3e bataillon, soudant son mouvement à celui de la 28e D. I., qui attaque Essigny-le-Grand, atteint le chemin de terre Essigny-Ly-Fontaine où il stoppe un instant et repart pour atteindre et dépasser le chemin de Benay à Essigny.
LA PRISE DE LA COTE 121. - A 15 heures, le 2e bataillon quitte Clastres et se dirige sur Benay. Il est chargé de reconnaître et de nettoyer la zone comprise entre Benay et la route 44, après quoi il doit revenir à Benay et relever les autres bataillons. L'opération doit se faire en deux phases : premier objectif : ferme Lambay, bois Cambé (cote 121), Cerizy; deuxième objectif : La Folie, route de Saint-Quentin. Des renseignements donnent que cette zone est très faiblement occupée. Dans une formation d'approche impeccable, le 1er bataillon se dirige vers Benay violemment bombardé, et, d'autre part, un drachen ennemi voit sa progression, ce qui lui vaut un violent tir de barrage aux abords de Benay. A 17 heures, le bataillon a pris son dispositif de départ et s'élance. La 7e compagnie, à droite, atteint la lisière du bois de Cerizy; la 6e compagnie, à gauche, qui marche sur la ferme Lambay, opère en terrain découvert, sous le feu de nombreuses mitrailleuses, et se heurte à des vagues d'assaut ennemies qui contre-attaquent sur son flanc gauche. Aussi doit-elle stopper à 300 ou 400 mètres de son point de départ. Le lieutenant RONDOT qui commande la compagnie est blessé au cours de l'action, mais ne quittera son unité qu'au milieu de la nuit. Au centre, la 5e compagnie, sous l'énergique commandement du capitaine ALBERT, part avec brio à l'attaque du bois Cambé, fortement occupé et garni de mitrailleuses. L'appui d'artillerie manque, mais des V-B pleuvent aux lisières du bois et des rafales de fusils-mitrailleurs le balaient. Sous la protection de ce feu meurtrier, les sections s'élancent à l'assaut; l'ennemi surpris est bousculé et les vagues d'assaut, contournant le bois, se rencontrent au delà de la cote 121: un des points culminants de la région est à nous. A la nuit, la lutte se calme sur le front du bataillon. A Essigny, la 28e D. I. est aux prises avec l'ennemi, qui contre-attaque violemment. Benay reçoit toute la nuit des obus de gros calibre. Urvillers est en flammes.
Une compagnie du 1er bataillon vient renforcer le 2e et faire la soudure avec le 75e, une autre reste en réserve à Benay; les deux autres, dont la compagnie de mitrailleuses, se rendent à Clastres. Dans la journée du 25, les deux compagnies du 1er bataillon encore en ligne descendent à Clastres; les deux bataillons qui tiennent la ligne organisent leurs positions. L'artillerie ennemie demeure assez active; l'infanterie travaille activement à renforcer des organisations ébauchées plus en arrière, afin de contenir de plus en plus notre avance. Nous ne sommes plus qu'à quelques kilomètres de la ligne Hindenburg (du bois 121, on voit Saint-Quentin), et plus nous l'approchons, plus la résistance devient opiniâtre, jusqu'au jour où, cette ligne atteinte, le secteur se stabilisera pour de longs mois.
Dans la nuit du 26 au 27 mars, le 52e relève le 140e qui se rend à Cugny, Villeselve et Beaumont-en-Beine.
La relève à peine terminée, le colonel adresse l'ordre du jour suivant à son régiment
" Le chef de corps est heureux d'adresser au régiment ses félicitations pour l'entrain et l'endurance déployée au cours de la dernière dizaine. Malgré les intempéries, malgré l'absence de sommeil, des obstacles de toute nature accumulés sur notre passage, la résistance souvent opiniâtre de l'ennemi, nous avons atteint nos objectifs. Je le dois à votre courage, à votre endurance, à votre esprit de devoir.
" Adressant un salut respectueux à ceux qui sont tombés pour la libération de la terre française, à tous, je dis " Merci ! "
Jusqu'au 31 mars, les unités travaillent à la remise en état des voies de communication. Le plus gros travail consiste à combler les nombreux entonnoirs que les mines allemandes ont creusés.
PÉRIODE DE RÉSERVE. - Dans les derniers jours de mars, la 27e D. I. a été relevée par la 12e D. I. Le 140e est mis à la disposition de cette D. I. pour effectuer des travaux et vient à Grand-Séraucourt et Artemps. Les hommes se disséminent et se casent tant bien que mal dans les ruines et dans les rares caves qui n'ont pas été effondrées ou minées. Là, comme partout ailleurs, la rage de destruction des Allemands s'est donné libre cours; une immense sucrerie à Grand-Séraucourt a été complètement bouleversée.
LE REPOS A SALENCY. - Le régiment, relevé par le 92e et le 139e, se rend en deux étapes à Salency, où il arrive le 3 avril. Il cantonne en entier dans ce village que les Allemands ont à peu près épargné.
Le régiment va bénéficier d'une semaine de repos bien gagné. Du 17 mars au 1er avril, il a été constamment sur la brèche. Il a subi des pertes sensibles, mais les hommes ont surtout souffert des intempéries et des fatigues inhérentes à la poursuite. Il a plu fréquemment et, bien que l'hiver touche à sa fin, il fait encore très froid. Dans des pays dévastés, les abris manquent totalement, l'eau potable fait souvent défaut, les puits ayant été souillés; il faut se contenter d'un ravitaillement réduit à l'indispensable en raison de l'absence des voies ferrées, du mauvais état des routes et sans espoir de l'améliorer, le pays n'offrant naturellement aucune ressource après la razzia pratiquée par l'ennemi.
PÉRIODE DE RÉSERVE. - Le régiment, mis à la disposition des 121e et 61e D. I., se rapproche des lignes. Le 3e bataillon vient entre Remigny et Montescourt, le ter à Montescourt et le 2e à Clastres. Le colonel s'établit à La Neuville-en-Beine. Le régiment est réserve de C. A. Il fait des travaux sur la deuxième position du 10 au 21 avril.
LE SECTEUR D'URVILLERS. - Le 22 avril, le régiment se prépare à monter en secteur, où il relèvera le 92e dans la nuit du 23 au 24. Le 2e bataillon est en ligne en avant de la route 44, entre la cote 121 et la cote 117, en liaison avec le 417e. Le 3e bataillon est à gauche du 2e, en liaison avec le 52e . Le 1er bataillon est en réserve. Le P. C. du colonel est sur la route Essigny-Saint-Quentin, au sud-est de la cote 108.
Les T. C. sont venus à Artemps, les cuisines roulantes sont à Grand-Séraucourt et viendront ravitailler, la nuit venue, sur la route de Saint-Quentin.
La nuit même de la relève, une tentative ennemie sur un de nos petits postes échoue. L'organisation du secteur est à peine dessinée. Les abris sont encore inexistants. L'artillerie ennemie harcèle sans arrêt tous les plis du terrain qui peuvent offrir quelque protection et toutes les organisations déjà amorcées. Aussi les pertes sont-elles sérieuses. Une fois de plus, le régiment se met avec ardeur au travail; les tranchées existantes sont approfondies; des boyaux sont ouverts entre la première ligne et les P. C. des bataillons, entre ceux-ci et le P. C. du colonel et, de là, vers l'arrière; des abris sont commencés. Les communications enterrées sont poussées activement, et au bout de quelques jours, la circulation ne se faisant plus en terrain libre, l'artillerie ennemie diminue sensiblement son activité, ce qui permet de pousser encore plus rapidement les travaux.
L'aviation ennemie, très supérieure, continue à se montrer très active, survole très bas nos lignes, les emplacements de batterie, et incendie les drachens.
PÉRIODE DE RÉSERVE. - A la fin d'avril, le régiment est relevé par le 75e R. I. et revient à Artemps et Grand-Sérau-court où, jusqu'au 6 mai, il demeure en réserve, effectuant de nuit des travaux sur la deuxième position.
LE REPOS DANS LA RÉGION DE SALENCY - Vers le 6 mai, la division est relevée et le régiment gagne, en deux étapes, la région de Salency.
LE SÉJOUR AU CHEMIN DES DAMES
LE DÉPLACEMENT. - Le repos sera très court, puisque le 11 mai il prend fin. Le régiment quitté la Ille armée et la région de Saint-Quentin, où il a écrit une nouvelle page de gloire, pour aller vivre de dures journées dans le secteur du' Chemin des Dames, fiévreux et encore tout frémissant de la bataille engagée le 16 avril.
Dès le 10 mai, les équipages sont groupés à Ressons-leLong, en vue du déplacement. Le 11, de bonne heure, le régiment embarque en T. M., sur la route de Béhéricourt à Salency, sauf le 3e bataillon qui embarque sur la route de Salency à Noyon. Les longues files de camions traversent Noyon, où la vie est bien revenue, passent l'Oise à Pont-l'Évêque, grimpent, par Carlepont, sur le plateau du Soissonnais, franchissent les anciennes lignes à proximité de Moulin-sousTouvent, dégringolent dans la vallée de l'Aisne, arrivent à Vie-sur-Aisne, remontent la vallée de l'Aisne par Soissons, puis celle de la Vesle par Braisnes, et viennent s'arrêter aux Fismettes, près de Fismes, où a lieu le débarquement. Nous sommes au milieu d'une chaude journée; les hommes, déjà un peu fatigués par le transport en camions et couverts de poussière, encore une douzaine de kilomètres à faire pour gagner leurs cantonnements. Les fantassins ont leur sac lourdement chargé; les mitrailleurs et les servants du canon de 37 ont leurs pièces et des munitions à transporter à bras. Courageusement, tout le monde se met en route, mais bien vite la colonne s'allonge et s'étire; par instants, il faut même quitter la route assez mauvaise du reste à cause des convois et des attelages de toute sorte qui se succèdent. Le régiment se regroupe à Blanzy-lès-Fismes où l'on fait une très longue pause.
Puis, par groupes échelonnés, il se remet en route et arrive à la crête qui domine la vallée de l'Aisne au sud; les hommes voient devant eux, de l'autre côté de la rivière, la crête du Chemin des Dames violemment " marmitée " qui disparaît dans un nuage de poussière, et les anciens du régiment pensent que les crêtes de Douaumont et de Vaux fumaient ainsi. L'Aisne est traversée vers la sucrerie de Villers-en-Prayères, l'É.-M., la CHR et le 2e bataillon vont à Pargnan; le 1er bataillon pousse jusqu'à Cuissy-et-Geny; le 3e bataillon s'arrête aux baraquements au sud-est de Pargnan. Très fatigués, les fantassins arrivent à la nuit tombante. Quant aux mitrailleurs et au peloton de 37, complètement exténués, ils n'arrivent à destination qu'à partir de 10 heures du soir.
Comme cantonnements, on dispose de quelques baraquements, de caves aménagées et surtout des innombrables grottes qui parsèment la région. Certaines d'entre elles, immenses, s'appellent creutes et des bataillons entiers y trouvent abri.
Les équipages de Ressons-le-Long ont gagné Sermoise, le 11 mai; le lendemain, les T. C. viennent à Pargnan et le T. R. à Blanzy-lès-Fismes.
Le régiment se trouve en plein dans le Soissonnais. Le large plateau calcaire laisse entre les vallées qui l'entaillent profondément des solitudes étendues, des campagnes vides, où se voit de loin en loin, un bâtiment carré qui est une ferme où se groupe l'exploitation agricole des parcelles éparses sur le plateau. Les eaux ont taillé de larges passages et les vallées ont de l'ampleur (Aisne, Vesle). Le fond argileux entretient une végétation d'arbres et d'herbes. Sur les flancs, les villages aux solides et blanches maisons de calcaire se succèdent. Une population de petits cultivateurs, d'horticulteurs, de vignerons (si l'exposition le permet) les peuple, pratiquant sur un sol très morcelé, les cultures les plus variées. Soissons s'étale comme au fond d'un cirque dans le plus ample des bassins que dessine la vallée de l'Aisne. Du plateau au rebord duquel est accroché Pargnan, Laon, fièrement cantonné sur sa montagne isolée, laisse apercevoir les quatre tours de sa cathédrale.
Le régiment a deux jours pour souffler et préparer sa montée en secteur. Celui-ci promet d'être dur. De l'église de Pargnan, on voit la longue croupe pelée du Chemin des Dames que les deux artilleries se plaisent à fouiller encore. Chaque soir, des tirs de barrage très denses se déclenchent un peu partout et les fusées illuminent sans arrêt le ciel. Chaque repli de terrain cache une bouche à feu, et cette formidable artillerie mène nuit et jour un vacarme assourdissant. Une longue série de drachens jalonnent la ligne (on peut en compter jusqu'à quarante de notre côté , tandis que de nombreux avions de chasse, de' réglage, de reconnaissance, évoluent le jour dans les airs et que les avions de bombardement la nuit viennent lâcher leurs projectiles suries arrières, prolongeant ainsi la besogne du canon.
La contre-batterie allemande est très active, et le parc des T. C. du régiment dans le ravin de Pargnan, victime d'un de ces tirs, subit de grosses pertes.
LE PREMIER SÉJOUR EN LIGNE. - Dans la nuit du 14 au 15, le régiment monte en ligne. Le 1er bataillon relève un bataillon du R. I. C. M., aux abords du monument d'Hurtebise; le 2e bataillon, un bataillon du 118e R. I. devant Ailles et le 3e bataillon un bataillon du 116e, en réserve au village nègre.
Le P. C. du colonel est dans la tranchée de Gotha.
Le secteur est constitué par les anciennes premières lignes allemandes enlevées de haute lutte lors de l'attaque du 16 avril et âprement défendues depuis. Mais sous les bombardements répétés et intenses, boyaux et tranchées se sont écroulés, beaucoup d'abris ont été effondrés et, anciennement occupés par les Allemands, présentent leurs entrées aux obus ennemis. De durs combats se sont déroulés pour la possession de la crête sur laquelle court le chemin construit sous Louis XV, et de nombreux cadavres de Sénégalais pour la plupart jonchent le champ de bataille que des épaves sans nombre recouvrent.
Le régiment va entreprendre et mener à bien une triple tâche : défendre le terrain qui lui est confié contre les tentatives d'un ennemi agressif; l'organiser défensivement; nettoyer le champ de bataille en ensevelissant les morts, en rassemblant et évacuant les épaves.
L'ennemi est accroché au rebord du plateau avec l'Ailette à dos dont les passages sont bien visés par notre artillerie; mais des crêtes nombreuses lui offrent un abri sûr; son artillerie de tranchées, nombreuse et bien ravitaillée, est presque à l'abri de nos obus lourds. Jusqu'au 7 juin, le 2e bataillon garde sans relève le quartier ont il a pris possession le 14 mai au soir. Cette partie du secteur est du reste beaucoup plus calme que le quartier de droite; en dehors du bombardement quotidien, il n'y a aucun événement notable; l'ennemi, très vigilant, se contente de travailler activement à une parallèle de départ proche de nos lignes, besogne dans laquelle il sera souvent dérangé par nos tirs de mousqueterie et nos V.-B. Il amorce, à un moment donné, des tentatives de fraternisation, et cela nous vaut, le 20 mai, la capture d'un sous-officier du fer bavarois par un soldat de la 5e compagnie.
Le quartier de droite, beaucoup plus actif, est le théâtre d'attaques et de contre-attaques assez fréquentes. De nombreux combats à la grenade se livrent vers le monument d'Hurtebise.
Les 1er et 3e bataillons roulent, tous les six jours, pour l'occupation de ce quartier. Dans la nuit du 20 au 25 mai, l'artillerie ennemie contrebat violemment nos batteries et prend à partie nos boyaux de communication. Au jour, la préparation d'artillerie redouble et les engins de tranchées entrent en action aux abords du monument. A 8 heures, l'infanterie ennemie sort devant le 75e et devant la 2e compagnie du 140e . Il réussit à s'emparer de la tranchée ouest de l'éperon tenu par le 75e . Le lendemain matin, une contre-attaque nous rend la majeure partie du terrain perdu.
Le 22 mai, la 27e D. I. monte une attaque dont le but est d'enlever la tranchée sud de la grotte du Dragon. Un peloton de la 9e compagnie en liaison avec le 75e participe à l'opération. La préparation du coup de main exécutée avec une malheureuse section de 58 n'a pas permis d'effectuer les destructions nécessaires. Le tir très dispersé a du reste atteint notre première ligne. Quand, à 16H 35, les vagues d'assaut sortent de la tranchée d'Ems, un feu nourri de mitrailleuses et de bombes les accueille; elles tourbillonnent un moment et refluent ensuite vers la parallèle de départ. Une deuxième tentative exécutée peu après n'a pas plus de succès que la précédente. Le barrage ennemi, extrêmement violent, a détruit, en certaines parties, notre première ligne.
A partir du 27 mai, l'ennemi semble préparer une attaque Son aviation, très active, fait de nombreux réglages d'artillerie; les positions de batteries de la vallée Foulon à Jumigny sont violemment battues; les organisations des deux quartiers et les boyaux de communication sont soumis presque quotidiennement et fréquemment de nuit à des tirs particulièrement intenses. Mais, à partir du 6 juin, l'activité de l'artillerie paraît diminuer. La nôtre, du reste, riposte violemment. Sur tout le front du régiment, l'ennemi travaille activement à construire une parallèle reliant ses petits postes et ne pose pas de défenses accessoires. Après vingt-quatre jours de secteur, le régiment est relevé par le 75e R. I. Dans la nuit du 7 au 8 juin, le 2e bataillon se rend aux creutes de l'Yser, ainsi que deux compagnies du 1er bataillon (les deux autres allant aux baraquements, au sud-est de Pargnan, et la nuit suivante, le 3e bataillon vient aux creutes Champagne.
Au cours de cette relève, on a malheureusement à déplorer la mort du commandant du 2e bataillon, le chef de bataillon FAURE, tué dans le boyau du Hibou, alors qu'il venait de quitter son P. C., la relève terminée.
Ce n'est pas encore le grand repos à l'arrière, mais une détente bienfaisante devenue nécessaire. Le ravitaillement fait chaque nuit au village nègre ou aux creutes Somme n'apporte que des aliments froids; les privations endurées, les fatigues supportées, les longs efforts fournis ont affaibli les hommes, qui descendent avec un teint have et jauni. La première journée est consacrée au nettoyage des hommes (ils vont aux douches à Pargnan), des effets et des armes. Les jours suivants, on exécute quelques travaux : réfection de boyaux, fabrication de défenses accessoires (boudins Ribbard).
Un renfort de 100 hommes est envoyé du C. L D. et on procède au recomplétement en matériel et en munitions.
La fatigue extrême qu'a amenée chez les hommes
un long séjour dans un secteur agité a sa
répercussion sur le moral qui n'est pas des plus
brillants, mais au moment où l'armée
française traverse une crise terrible, le
régiment ne
" flanche " cependant pas et chacun sait rester
digne et discipliné. Du reste, un des grands facteurs du
moral, les permissions, arrêtées depuis longtemps,
sont reprises à un taux très élevé
et les détachements importants qui partent pendant les
quelques jours de repos ne se livreront à aucune des
manifestations stupides dont on a eu tant de mauvais
exemples.
LE DEUXIÈME SÉJOUR EN SECTEUR. - Le 19 juin, le régiment remonte dans le même secteur, relever le 75e . Le 2e bataillon reprend son ancien quartier; le 1er bataillon est en ligne et le 3e en réserve. Le colonel reprend le commandement du sous-secteur, le 20 au matin. Conformément aux bonnes habitudes prises au régiment, sous l’impulsion du colonel DESTEZET, les unités se remettent avec ardeur aux travaux. La chose est du reste nécessaire, ne serait-ce que pour entretenir les organisations existantes que l’artillerie ennemie, toujours très active, dégrade un peu chaque jour. Mais, en plus, on entreprend la construction de réseaux, d’abris et d’une nouvelle tranchée appelée " tranchée Faure " , en souvenir du chef de bataillon tombé au champ d’honneur.
Les patrouilles continuent à vérifier les réseaux et à reconnaître le tracé de la ligne ennemie. A partir du 23, notre artillerie est très active; elle effectue de nombreux réglages. Cette recrudescence d’activité de notre part amène une violente riposte de la part de l’ennemi.
LA PRISE DE LA CREUTE DU DRAGON. - Une opération offensive doit être exécutée par la division voisine et, dans la nuit du 24 au 25, des éléments du 334e R. I. viennent s’installer dans la droite du quartier.
A 18H05, les troupes de la 164e D. I. se portent à la conquête de leurs objectifs, notamment de la creute du Dragon, dans laquelle le génie a effectué une émission de gaz. L’attaque vivement menée réussit pleinement. A 18H40, l’ennemi déclenche une violente contre-attaque qui échoue, mais il revient à la charge au milieu de la nuit et, plus heureux, reconquiert une partie de la position qui lui a été enlevée. Les troupes du quartier C contribuent à enrayer le développement de cette attaque par les F. M. et les V. B. La 10e compagnie a prêté un concours précieux aux unités d’assaut voisines, ce qu’atteste du reste une citation à l’ordre de l’armée attribuée au capitaine GANTER.
A partir du 26 juin, commence la relève par le 24e R. I. Le 3e bataillon et la C. M. 2, relevés les premiers, s’en vont cantonner à Oeuilly. Après une journée très agitée, dans la nuit du 27 au 28, toutes les autres unités sont relevées et le régiment se rassemble à Ouilly. Le capitaine CHASTANET, capitaine adjudant-major au 3e bataillon, prend à ce moment le commandement du 2e bataillon. Nommé chef de bataillon peu de temps après, il fera rapidement de son unité, éprouvée par un long séjour en secteur et déprimée par la mort de son chef, une unité d’élite, pleine d’allant, gaie et vivante, qui ne tardera pas à se faire remarquer sur le champ de bataille.
LE REPOS DANS LA RÉGION DE MATZ
LE DÉPLACEMENT. - Le 28, au soir, tout le régiment fait mouvement vers l’arrière et gagne la région de Jouaignes. Le 30, le régiment embarque en T. M. près de Braisnes et le même jour les différents bataillons débarquent près de Ressons-sur-Matz. Le 1er bataillon cantonne à La Neuville-surRessons, le 3e à Mareuil, où se trouve le colonel, et le 2e au Camp Kléber. Cette période de repos arrive au moment le plus critique de la guerre. Intoxiqués par une propagande néfaste pour laquelle l’argent allemand est prodigué, les hommes sentent leur confIance diminuer, leur moral faiblir. Aussi la période est-elle employée par le commandement à combattre ce mal par de fréquentes causeries des officiers de compagnie sur les raisons d’espérer une fin victorieuse, sur les dessous de cette propagande, par une reprise intéressante et utile de l’instruction, et enfin par l’organisation de fêtes de bataillon, dont quelques-unes sont fort réussies. L’effet est excellent.
La confiance, la bonne humeur reviennent bien vite dans ce beau régiment et le regard clair et droit des hommes indique assez à quel point on peut à nouveau compter sur eux. Trois semaines de repos sont accordées au régiment. Vers la fin du séjour, quelques manoeuvres sont exécutées dans les anciennes lignes aux abords de Lassigny. Quelques prises d’armes ont lieu, notamment le 11 juillet, à 16 heures, où le lieutenant-colonel CHARLES-ROUX, commandant provisoirement le régiment, a tenu à présenter le drapeau aux troupes. Celui-ci doit en effet participer le 14 juillet à la revue des étendards. Sa garde et le détachement d’escorte, commandés par le capitaine RONDOT, partent pour Paris le soir même. Le jour de la revue, le drapeau reçoit sa bonne part des applaudissements; le lendemain, dans plusieurs grands quotidiens, il aura une mention et dans l’un d’eux on évoque le " glorieux paquet de ficelles tricolores " .
Sur la place de Mareuil, dans la matinée de ce même jour, une cérémonie plus modeste réunissait le 140e . Des remises de décorations eurent lieu, entre autres celle de la Valeur militaire italienne au capitaine GANTER; puis les différents bataillons défilèrent devant le lieutenant-colonel CHARLES-ROUX.
Quelques jours après, le 21, une bonne partie du régiment assiste à une représentation du Théâtre aux Armées, donnée à Riquebourg. Le programme est intéressant, les artistes excellents, et chacun emporte de cette soirée un bon souvenir.
LE SÉJOUR DANS LE SECTEUR DE MOY
LE DÉPLACEMENT. - Le 24 juillet, le régiment se met en route pour la région sud-est de Saint-Quentin. En trois étapes, il gagne la région de Jussy.
LE SÉJOUR EN SECTEUR. - Le régiment doit monter en ligne au nord de Moy. Il relève le 404e et le 417e à partir du 26 juillet. Deux bataillons sont en première ligne et un en réserve entre Benay et la Ferme Caponne. Le P. C. du colonel est dans une carrière au bord de la route 44, à 300 mètres au sud de La Folie.
Chaque bataillon fait douze jours de ligne et six jours de réserve. Le secteur, établi à partir de mars 1917, est encore en voie d’organisation. Il est dans l’ensemble très calme. Les unités en ligne effectuent quotidiennement des patrouilles en avant de nos lignes. Ces sorties fréquentes aguerrissent l’homme, en combattant la peur de l’espace découvert que donne la vie de taupe qu’il mène depuis si longtemps.
LE REPOS DANS LA ZONE D’APILLY. - A partir du 27, commence la relève du régiment par le 408e R. I. Puis, par étapes, le régiment se rend à Apilly et Grandru, où il reste pendant deux semaines. Le 1er bataillon va suivre à Gilocourt une période d’instruction avec les chars d’assaut.
L’ATTAQUE DU 23 OCTOBRE
LE DÉPLACEMENT. - Le 17 septembre, le régiment quitte à nouveau la IIIe armée pour revenir à la VIe armée et, par une série d’étapes, il gagne la région au nord-est de Soissons. L’É.-M., la C. H. R., le 3e bataillon et la C. M. 2 cantonnent dans un camp blotti au fond d’un ravin en dessous de Vregny; le 2e bataillon occupe Vregny et le 1er bataillon va en réserve à la carrière Saint-Blaise, au-dessus de Nanteuil-la-Fosse, et dans le bois de Nanteuil aux Abris Sébastopol. Il sera remplacé le 28 septembre par le 2e bataillon. Le T. R. est resté au faubourg Saint-Waast à Soissons.
LA PRÉPARATION DE L’ATTAQUE. - Une opération offensive puissante est préparée dans le secteur et le régiment va participer aux travaux préparatoires d’attaque. Les pionniers sont chargés de construire le P. C. de combat du colonel à la Ferme Mennejean, et d’y constituer le dépôt régimentaire de matériel, de munitions et d’artifices. Les bataillons travaillent tout d’abord aux grands boyaux E0, E1, font du transport de matériel et de munitions et construisent des baraquements à Vregny.
Le 4 octobre, au soir, les 1er et 3e bataillons quittent leurs emplacements et se rendent à Ambleny. Le 2e bataillon les y rejoint le lendemain par Chivres, Sainte-Marguerite, Bucyle-Long et Soissons. Le 14, un peloton de la C. M. 1 et un peloton de la C. M. 3 sont envoyés en ligne devant Nanteuil-laFosse pour effectuer des tirs indirects dans la zone d’attaque, sous la direction du capitaine HULIN, qui commande tout un groupement de mitrailleuses. Les journées passées à Ambleny sont consacrées à parfaire la préparation matérielle et morale des troupes en vue de l’attaque projetée. La mission du régiment est d’ores et déjà établie. Sur un terrain se rapprochant autant que possible de celui sur lequel le régiment devra opérer sont exécutées de nombreuses répétitions. Les unités y occupent exactement la place qui leur est assignée dans le plan d’engagement et étudient leur rôle dans les moindres détails afin de réduire au minimum les effets parfois fâcheux du hasard.
La préparation morale est l’objet de soins particuliers de la part des officiers et quand, le 17 octobre, le régiment quitte Ambleny, c’est en toute confiance qu’il voit s’approcher le jour J. Tandis que les bataillons échelonnés sur la route de Soissons se rapprochent des lignes, les hommes remarquent les lueurs des coups de départ qui illuminent sans arrêt le ciel. La chose les met plus encore en confiance, car cela fait bien augurer de la préparation d’artillerie. Et cependant, de ce bombardement, qui doit être terrible, ne nous parvient pas un écho, sans doute en raison de la configuration compartimentée du terrain.
Ce soir-là, le 1er bataillon va cantonner à Crouy, le 2e aux carrières nord de Sainte-Marguerite ainsi que le 3e bataillon, l’É.-M. et la C. H. R. à Sainte-Marguerite. Les journées du 18 et du 19 se passent sur place. Les poilus en profitent, les uns pour rendre visite aux pièces de 400, en position à Sainte-Marguerite, les autres pour assister des hauteurs de Vregny à la préparation d’artillerie qui paraît formidable; les lignes ennemies disparaissent sous un épais nuage de fumée.
LA MISE EN PLACE DES UNITÉS. - Dans la nuit du 20 au 21, le 1er bataillon monte en ligne; la 2e compagnie relève une compagnie du 414e en première ligne; les autres compagnies occupent les Petits Golets, la C. M. 1 fait du tir indirect. Le 21 au soir, le 2e bataillon monte à la carrière Saint-Blaise; le 3e bataillon vient s’installer aux Petits Golets. Le 22, vers 6 heures du matin, un peloton, commandé par le lieutenant FLOURiOT et composé d’une section de la 3e compagnie (sous-lieutenant AUDOUARD) et d’une section du 75e (aspirant PELLIS), exécute une reconnaissance offensive sur la tranchée Garceau. Cette reconnaissance pénètre dans la tranchée ennemie et ramène 7 prisonniers dont un sous-officier. Ces prisonniers permettent d’identifier la fameuse 13e D. I. allemande, entrée un jour avant en ligne (division composée de régiments d’attaque et comprenant notamment le 55e R. I. dit régiment de l’Impératrice Augusta).
La préparation d’artillerie bat son plein : torpilles de toutes dimensions, obus de tous calibres, pleuvent sur les positions d’infanterie et d’artillerie ennemies. A quelque instant que l’on regarde, des torpilles par dizaines décrivent leur trajectoire interminable et vont soulever des colonnes de poussière et de fumée vers la route de Maubeuge et le ravin du Fruty. La réaction d’artillerie ennemie, vive au début de la préparation, va en s’affaiblissant tous les jours; les guetteurs doivent être bien démoralisés, car le 22 on peut se promener impunément en terrain libre dans les premières lignes.
La nuit du 22 au 23 est la veillée d’armes. On apprend que le jour J est le 23 octobre et l’heure H, 5H 15. De l’animation et une gaieté franche règnent dans les creutes parmi ces troupes qui, dans quelques heures, vont affronter la mort; les fantassins en ont vu bien d’autres et savent que jamais bataille n’a encore été engagée dans d’aussi bonnes conditions. Deux heures après minuit, les troupes vont occuper leurs emplacements de départ. Les 1er et 2e bataillons vont se masser autour des ruines de la Ferme Mennejean. Le 3e bataillon, dont l’entrée en action doit suivre celle des autres bataillons, à quatre heures de distance, se groupe dans les grottes des Golets.
RÔLE DU RÉGIMENT. - La mission du régiment est particulièrement délicate à remplir. Placé à l’aile droite du 14e C. A., il doit prendre pied sur le plateau de Mennejean, s’assurer des importantes organisations des Gobineaux et de là se porter en flèche en avant des autres régiments de la division, d’abord à la ferme Saint-Guillain, puis au plateau du Grand-Vivier qui domine la vallée de l’Ailette et la forêt de Pinon.
La minutieuse préparation qui a précédé l’attaque a mis chacun au courant des nombreuses difficultés de cette tâche. Pourtant, le moral est splendide, la volonté de vaincre anime tout le régiment et c’est dans un frémissement d’impatience que s’écoulent les derniers instants avant l’heure H.
Le déclenchement et le développement de l’attaque.
LE RÔLE DU 1erBATAILLON - Dans un terrible fracas d’artillerie, déchaîné par une nuit noire où fulgurent les éclairs d’explosion et rougeoient les signaux de l’ennemi, les 1er et 2e bataillons, échelonnés l’un derrière l’autre, s’élancent vers l’ennemi d’un irrésistible élan. L’obscurité permet de surprendre l’ennemi qui ne s’attend pas à un déclenchement d’attaque aussi matinal. En toute hâte, les deux bataillons se précipitent sur les premières lignes ennemies, de façon à dépasser sans retard la zone de barrage. Dans le chaos du terrain défoncé, c’est la poussée violente d’une marée humaine. Les unités s’élancent et se pressent dans la nuit; des appels s’entrecroisent et aussi parfois des cris d’agonie. Mais on colle au barrage roulant, que les camarades du 2e servent à toute volée et quand les premières lueurs de l’aube nimbent à l’horizon les plateaux que domine la cathédrale de Laon, les premières vagues d’assaut du 1er bataillon atteignent déjà le ravin des Gobineaux, aux pentes de la position du Balcon. On se reforme, on se réorganise, on donne appui aux camarades du 75e qui, à gauche, se sont heurtés à des mitrailleuses boches. Les nettoyeurs de tranchées vident les abris et déjà les prisonniers affluent de tous côtés.
Maintenant le jour est levé et c’est pour les combattants un saisissant spectacle. La canonnade fait rage et notre barrage dense établit un mur de feu à 400 mètres en avant du Balcon. Les chasseurs progressent à droite vers Vaurains. Plus loin, les mitrailleuses crépitent vers la Malmaison et Filain, où la lutte est des plus dures.
A gauche, le plateau de Laffaux est aux mains des autres régiments de la division, le 75e et le 52e. La première phase est terminée.
Comme rançon de ce succès foudroyant, quelques combattants manquent à l’appel. Le 1er bataillon a perdu les deux commandants des compagnies d’attaque, deux officiers de très grande valeur : le lieutenant DREVET, commandant la Ire compagnie, est tué par un obus au départ de l’attaque, et le lieutenant BIESSY, commandant la 2e compagnie, trouve la mort en arrivant sur l’objectif final du bataillon.
LE RÔLE DU 2e BATAILLON. - A 6H 15, le 2e bataillon s’ébranle pour franchir les ravins humides et les pentes boisées qui le séparent de son objectif : la Ferme Saint-Guillain, cote 144,4. Dès le départ, la 7e compagnie qui ouvre la marche est arrêtée aux Gobineaux par des mitrailleuses ennemies. Le vaillant capitaine JOUSSET, qui la commande, est tué, les sous-lieutenants PAJAROLA et GERMANIQUE blessés et 40 hommes sont mis hors de combat. La compagnie de chasseurs à pied, qui progresse à notre droite, est également très éprouvée. Les mitrailleuses ennemies tirent même sur les prisonniers allemands capturés par la 7e compagnie et en tuent une douzaine.
La 6e compagnie, appelée par le chef de bataillon, attaque les nids de mitrailleuses ennemies dans un splendide mouvement. A l’appel du capitaine RONDOT et du lieutenant GIRIN, blessés tous les deux, la compagnie s’élance, et en quelques instants les mitrailleuses ennemies sont réduites au silence et leurs servants faits prisonniers. Le bataillon continue sa progression à toute allure. Le mouvement est grandement facilité par la section de flanquement du lieutenant BUREAU qui, sous un feu violent de mitrailleuses, a foncé par la gauche sur Saint-Guillain d’où elle a débusqué un fort parti ennemi.
A 7H 45, le 2e bataillon a atteint tous ses objectifs et a commencé son installation en avant de la Ferme Saint-Guillain et des hauteurs de la cote 144,4 qui la domine à droite.
LE RÔLE DU 3e BATAILLON. - Pendant cette phase de l’attaque, le 3e bataillon a quitté les Golets et a pris place dans les tranchées de départ qu’il franchit à 7 H 15 ainsi disposé :
9e et 10e compagnies en première ligne;
11e et C. M. 3 en deuxième ligne.
Il parcourt le plateau de Mennejean, peu battu par l’artillerie ennemie, et se porte rapidement vers la partie sud de la position Saint- Guillain-cote 144 sur laquelle il franchit à 9H 15 la ligne tenue par le 2e bataillon.
La 10e compagnie voit sa marche entravée par des feux de mitrailleuses partant du bois au nord de Saint-Guillain.
A 9H 50, la 9e compagnie occupe la tranchée du Lézard et pousse des antennes vers la lisière sud du bois du Vallon, dans lequel sont réfugiés plusieurs groupes ennemis résistant énergiquement. De violents feux de mitrailleuses sont dirigés sur nos éléments avancés. Deux chars d’assaut interviennent et ouvrent le feu sur les nids de mitrailleuses ennemies les plus proches, mais de la tranchée de la Girafe, des mitrailleuses prennent de flanc et paralysent tout élément des 9e et 10e compagnies cherchant à progresser.
Cependant, à 12 heures, la 9e compagnie a réussi à nettoyer la tranchée du Lézard et une partie des abris dans le bois jusqu’à hauteur du point 14.54, faisant plus d’une centaine de prisonniers. Notre artillerie bat violemment la région du Grand-Vivier et, au delà, la forêt de Pinon. Le reste de la journée s’écoule sans incidents notables. Notre aviation, en dépit du temps brumeux, est active. Sur le soir, un avion ennemi volant très bas, croyant ravitailler les siens, nous envoie plusieurs sacs de vivres qui tombent en avant de la position tenue par le 2e bataillon. Le ravitaillement en matériel et en munitions s’effectue normalement. Les troupes s’organisent sur le terrain conquis. Le ramassage et le dénombrement de l’important matériel capturé sont commencés.
LA JOURNÉE DU 3 NOVEMBRE. - A 9h 15, l’artillerie allemande déclenche des rafales extrêmement nourries d’obus toxiques de calibres divers sur la partie ouest de la forêt de Pinon, la Faisanderie, l’Orangerie, le village et le château de Pinon. Vers 10h 30, le tir s’étend à toute la forêt, la tour, le Grand-Vivier et tous les bas-fonds. Une nappe de gaz se forme, sans cesse entretenue par la violence du tir, qui se ralentit cependant vers midi. A 13H30, il reprend et ne diminue que vers 20 heures. La nappe nocive est dense et très étendue. capitaine DE JOUFFRAY sont faits chevaliers de la Légion d’honneur sur le champ de bataille. La médaille militaire est décernée à l’adjudant-chef MOIROUD (Dominique), à l’adjudant EYZAC, aux sergents VAUSSENAT, ÉCHEVIN, JOINET, RIFFAULT, DREVON, aux caporaux DEVIGNOT et BESSON, aux soldats PEYRELEVADE et BOUZIGOU.
PÉRIODE DE RÉSERVE. - Le régiment devenant régiment de deuxième ligne, fait mouvement vers l’arrière le 27 au soir. Le 1er bataillon quitte les Gobineaux et vient s’installer aux Golets. Le 2e bataillon, remplacé par un bataillon du 75e, se rend dans le même temps à la carrière Saint-Blaise où le 3e bataillon vient le rejoindre peu après, ainsi que l’ É.-M. et la C. H. R. Pendant quatre jours, le régiment se remet des émotions de la bataille. On se nettoie, vérifie son armement et son matériel, le recomplète et visite aux heures de loisirs le champ de bataille sur lequel la canonnade a fait rage et où plane maintenant le silence propice aux morts qu’il a recueillis.
LE SECTEUR DE LA FORÊT DE PINON. - Avant de s’en aller au grand repos, le régiment doit remonter en ligne. A partir du 2 novembre, il relève le 75e dans la partie ouest de la forêt de Pinon. Les 2e et 3e bataillons sont en ligne, le 1er bataillon en réserve. Le colonel établit son P. C. au piton du Grand-Vivier.
Les unités s’organisent sur les emplacements qu’elles occupent. Les abris allemands sont précaires, naturellement mal orientés et très insuffisants. La nature marécageuse du terrain n’a permis que la construction d’abris faits de rondins et en superstructure. La nuit et les premières heures de la journée se passent sans événements notables.
Malgré les masques et les appareils Tissot, utilisés dès le début du bombardement, les pertes sont très élevées. En longues files, les intoxiqués se succèdent aux postes de secours. Afin d’échapper à l’action persistante des gaz toxiques, la 7e compagnie est poussée 600 mètres à l’est de son emplacement primitif, et vers 21 heures, les 1re et 3e compagnies, réduites à une trentaine d’hommes, sont ramenées en arrière et s’installent dans la tranchée au sud du bois du Vallon. L’ennemi ne prononce pas d’attaque d’infanterie, mais celle-ci n’en est pas moins très vigilante. Avant le jour, conséquence de notre victoire de la Malmaison, l’ennemi a évacué tout le Chemin des Dames sur un front de 18 kilomètres, depuis la ferme Froidmont jusqu’à l’est de Craonne. Afin de se rendre compte s’il n’a pas exécuté lui repli analogue devant la division, une reconnaissance de la 6e compagnie est envoyée vers 12h 30 au delà de l’Ailette pour prendre contact avec l’ennemi. Forte d’une vingtaine d’hommes et suivie peu après d’une patrouille de soutien, elle franchit le canal, l’Ailette et se dirige droit au nord. Ses éléments de tête ont déjà progressé de 300 mètres quand l’ennemi brusquement ouvre le feu. La reconnaissance se replie vers la passerelle, mais ne peut la franchir, deux mitrailleuses la balayant dès qu’on fait mine de l’aborder. Le capitaine RONDOT, qui a appelé une partie de sa compagnie au secours de la reconnaissance pour l’empêcher de tomber aux mains de l’ennemi, est tué près de la passerelle; le sous-lieutenant BUREAU est blessé. La compagnie n’a plus d’officiers. La reconnaissance s’est tapie sur les bords du canal où elle reste jusqu’à la nuit; à l a faveur de l’obscurité, elle réussit à rentrer sans être inquiétée par l’ennemi et n’abandonne qu’un homme tué sur le sommet de la digue nord du canal. Le chef de bataillon manifeste le désir de voir ramener le corps du soldat MAILLET dans nos lignes. Deux volontaires se présentent et réussissent à exécuter à la nuit tombante leur périlleuse mission. Ce sont les soldats Jussy (Émile) et BEAUX (Élie).
LA RELÈVE. - A partir du 6 novembre, le régiment est relevé par le 62e et les différents bataillons se rendent par étapes à Osly-Courtil, Laval, Cuisy-en-Almont.
LA REMISE DE LA FOURRAGÈRE. - Le 10 novembre, a lieu à Soissons une prise d’armes impressionnante au Cours de laquelle le général PÉTAIN accroche la fourragère aux couleurs de la croix de guerre au drapeau du régiment. Mais pourquoi faut-il qu’à ce moment même, par delà les Alpes, au fond des plaines italiennes, une effroyable tourmente emporte les armées de Rome et fasse courir un frisson d’angoisse sur nos âmes qui croyaient déjà à la victoire?
LE REPOS DANS LA RÉGION DE PARIS
Le régiment va s’en aller au repos dans les environs de Paris.
Le 11 novembre, au matin, le régiment embarque en T. M. à l’ouest d’Osly-Courtil et débarque à Villeneuve- sur- Verberie, où cantonne le 1er bataillon, tandis que le 2e va à Bras-seuse et le reste du régiment à Villers- Saint- Frambourg.
Les cantonnements sont médiocres et, le 19 novembre, le régiment quitte la région de Senlis pour venir dans le G. M. P. En deux étapes, les différents bataillons se rendent à Tremblay-lès-Gonesse (1er bataillon), Villepinte (2e bataillon), Aulnay-sous-Bois (É.-M., C. H. R.) et Sevran-Livry (3e bataillon).
Le régiment est assez bien cantonné, à l’exception du 2e bataillon, qui est dans un petit village boueux, habité par une population peu accueillante pour le soldat.
Jusqu’au 7 décembre, le régiment va profiter du repos qui lui est accordé pour se reconstituer; d’importants renforts lui sont envoyés, tel un de 300 hommes venus du 239e R. I. dissous.
L’instruction est reprise suivant les instructions récentes du G. Q. G. et en profitant de l’expérience des derniers combats. Des jeux sont organisés pour distraire les hommes. Le Théâtre aux Armées donne une représentation à Aulnay-sous-Bois. Les permissions de détente marchent régulièrement et des permissions de la journée pour Paris sont accordées.
LE RETOUR DANS LE SOISSONNAIS. - La période de repos terminée, par une série d’étapes le régiment va regagner, en traversant le Valois, la région sud du Soissonnais où, après un court séjour, il embarquera à destination du camp de Mailly.
Le régiment reprend haleine à Jaulzy et Crotoy et a devant lui (du 11 au 18 décembre) une semaine de repos, remplie par les occupations habituelles et pendant laquelle il reçoit un renfort de 450 hommes.
LE SÉJOUR DANS LA RÉGION DU CAMP DE MAILLY
LE DÉPLACEMENT. - Dans la nuit du 17 au 18, le régiment embarque à Vie-sur-Aisne, débarque à Chavanges et de là se rend au camp de Sainte-Tanche, où il arrive le 20 décembre
1918 |
LE SÉJOUR AU CAMP DE SAINTE-TANCHE. - Jusqu’au 11 janvier, les unités font le matin des séances d’instruction et le soir est rempli par des exercices de cadres ou des manoeuvres de régiment et de division. Le séjour est pénible en raison des mauvaises conditions matérielles et de la rigueur de l’hiver.
LE SÉJOUR EN ALSACE
LE DÉPLACEMENT. - Le séjour au camp de Sainte-Tanche finit le 11 janvier 1918. Ce jour-là, le régiment embarque à la gare de Mailly, à destination de l’Est. Il débarque à Luxeuil dans les environs duquel il cantonne pendant trois jours. Les 16 et 17 janvier, des étapes l’amènent dans la zone de Chèvremont.
Le régiment est maintenant à la disposition de la Vile armée et la 27e D. I. ira relever ultérieurement la 70e D. I. qui tient le secteur, entre le canal du Rhône au Rhin et les Vosges. Il stationne trois jours dans cette partie de la trouée de Belfort qu’il va suivre pour monter en ligne.
LE PAYS. - Large d’une vingtaine de kilomètres, cette contrée étant au point de contact de régions différentes, présente de grandes différences d’aspect. Le pays reste ouvert, partout pénétrable, sans être cependant une plaine. Quelque chose de morcelé et d’hétérogène perce dans les divers aspects du relief et du sol. Les vallons brusquement terminés dominent de 800 mètres une nappe d’alluvions siliceuses dont la surface semée d’étangs est colorée par des argiles rouges. Çà et là, au nord et à l’ouest de Belfort, des dômes boisés s’élèvent isolément, tel le Salbert, à la végétation siliceuse, aux pentes humides trempées de prairies et d’anciens marais. Au contraire, tranchant par leur couleur rousse, leur sécheresse, leur profil en éperon, des buttes calcaires pointent et s’alignent le roc armé et sculpté de Belfort, les Perches, le mont Vaudois.
LE SÉJOUR EN SECTEUR. - Après trois jours de stationnement, les différents bataillons se rendent successivement à Soppe-le-Bas. La relève commence, le 24 janvier. Deux bataillons sont en ligne : l’un dans le Buchwald, l’autre dans le Langlittenhag, le 3e en réserve à Soppe-le-Bas où se trouve le P. C. du colonel.
La relève entre bataillons a lieu tous les six jours; chaque bataillon fera donc douze jours de ligne et six jours de réserve. Le séjour à Soppe est assez agréable. Une partie de la journée est consacrée aux travaux, mais le phonographe et le cinéma sont, en de pareils cas, une distraction non négligeable et on a l’avantage d’être cantonné dans un pays habité. Le nouveau secteur est un des plus calmes que le régiment ait connus. Un intervalle de 1.000 à 1.500 mètres sépare les premières lignes françaises et allemandes. L’artillerie ennemie exécute, de temps à autre, des tirs de surprise très courts et plus rarement aussi de la contre-batterie. Elle manifestera cependant une activité bien plus grande du 17 au 25 février et dans la semaine qui précède ce réveil, les avions allemands survole fréquemment nos lignes. A partir du 2 mars, l’artillerie ennemie se réveille de nouveau et, jusqu’au 23 mars, elle se montrera extrêmement active. Les différents ouvrages de tous les quartiers, ainsi que les emplacements de batterie, sont successivement et violemment pris à partie, tandis qu’une aviation de jour, nombreuse et active, survole fréquemment nos lignes et que les escadrilles de bombardement s’en -ont la nuit sur Belfort. Notre artillerie répond de temps à autre par de violentes ripostes. L’infanterie ennemie ne manifeste son activité que par un stosstrupp qui vient fréquemment tâter nos fils de fer, cisaillant quelques réseaux et tente même d’enlever nos petits postes, mais sans succès; le poste du Gros-Chêne est particulièrement visé. Dans une de ses expéditions, le stosstrupp laisse un " gefreite " entre nos mains.
Les différentes unités font quotidiennement des patrouilles de vérification de réseaux et tendent de nombreuses embuscades sans aucun résultat.
Le secteur, s’il possède beaucoup de réseaux, du reste plus nombreux que solides, n’a pas de ligne solidement établie; la ligne des réduits n’existe que sur le plan directeur, les abris font à peu près complètement défaut et les groupes de combat ne sont pas organisés. Mais, sous l’énergique impulsion du colonel DESTEZET, chacun va se mettre fébrilement à la tâche. Les réseaux sont renforcés, des boyaux et des tranchées creusés, d’autres réfectionnés complètement; de nombreux abris sont commencés, de nombreuses pistes avec main courante sont établies. L’ardeur au travail est telle que l’allocation hebdomadaire de matériel, accordée par la division, est utilisée en deux ou trois jours au maximum. D’importants dépôts constitués par les prédécesseurs sont vidés en peu de temps. Lorsque le régiment s’en ira, le secteur sera complètement transformé.
L’EXTENSION DU FRONT DE LA DIVISION. - A partir du 25 mars, le dispositif va être profondément modifié. Le 16e C. A. placé à la gauche du 14e est relevé et son secteur est occupé par extension du front de la 27e D. I. Le 140e va donc glisser vers la gauche. Un bataillon est en ligne devant Michelbach, un autre devant Aspach et le dernier est en réserve à Rodern. Le P. C. du colonel est à Guevenheim.
Le secteur ressemble à celui que le régiment vient de quitter. Toutefois, dans le C. R. Kreuzwald, le Kalberg, qui fut un point de friction des deux lignes et où elles sont encore du reste relativement rapprochées, est dans un état chaotique et de gros efforts dépensés pour y remédier n’amènent pas le résultat cherché en raison de la faiblesse des effectifs. Les patrouilles ennemies tâtent fréquemment la ligne. Devant le 140e, elles ne trouvent jamais la surveillance en défaut, mais plus heureuses sur le front du 8e R. I. T. non habitué à tenir un secteur, elles lui enlèvent fréquemment des hommes.
L’artillerie ennemie manifeste certains jours, sans raison apparente, une grande activité. Elle fait un large emploi d’obus toxiques. Notre artillerie répond par de courts mais violents tirs de représailles.
LE SÉJOUR DANS LES FLANDRES
LA RELÈVE DU SECTEUR D’ALSACE. - L’ennemi ne tentant aucune opération en Alsace, une division (9e D. I.), éprouvée devant Montdidier, vie nt relever la 27e D.I. Le 82e R. I. relève le 140e sur les positions, les 14 et 15 avril.
Le régiment se rassemble dans la zone de Sermamagny. Le 1er bataillon est à Bas-Évette, le 3e à Évette, le 2e à Sermamagny, la C. H. R. et L’ É.-M au Salbert.
LE REPOS PRÈS DE BELFORT. - Pendant une semaine, les unités reprennent l’instruction et la remise en main bien nécessaire après une longue période de secteur. Le 19 avril, a lieu une prise d’armes de tout le régiment, sur un terrain au sud de Sermamagny. Des officiers italiens cantonnés dans cette localité y sont invités. Les troupes sont formées en un carré impressionnant et se présentent bien en dépit du mauvais temps. Le colonel suivi de son escorte passe devant le front des troupes au galop. Il présente ensuite le fanion offert par le Comité des Dames de Grenoble : " Soldats du 140e, dit-il, je suis heureux et fier de vous présenter aujourd’hui le fanion du régiment, oeuvre d’un ancien du 140e, don des Dames de Grenoble en souvenir de la bataille de la Malmaison.
" Sur ces plis flottent les noms à jamais glorieux d’Alsace, de Lihons, Le Quesnoy, Hébuterne, Champagne, Verdun, Benay, la Malmaison. La liste en est déjà longue, mais je compte sur vous pour en ajouter de nouveaux, car pour le 140e, pas de repos jusqu’à ce que les hordes germaniques soient boutées hors de France, jusqu’à ce que nous étanchions notre soif dans le Rhin allemand. "
Une remise de décorations a lieu ensuite, et la cérémonie se termine par un défilé devant le chef de corps et les nouveaux décorés.
LE DÉPLACEMENT. - Le 23, le régiment est prévenu de son prochain transport en chemin de fer. Le lendemain, le 3e bataillon avec le chef de corps, le 1er bataillon, puis le 2e embarquent successivement à Bas-Évette.
Le voyage est interminable. On passe par Lure, Troyes, Bar-sur-Aube, Versailles, Abancourt, Eu, Abbeville, Calais. L’avance formidable des Allemands nous a privés de la ligne d’Amiens, et il faut se servir de l’unique ligne qui suit la côte, ligne qu’on travaille activement à doubler en certains endroits. Les trains à marche ralentie, dont les arrêts ne se comptent plus, se suivent à vue. Les débris de matériel qui jalonnent la ligne témoignent des nombreux accidents qui résultent de l’intensité du trafic. En sens inverse se suivent les trains de ravitaillement bondés de réfugiés, qui ont fui en hâte devant l’ennemi, et ce spectacle vous serre le coeur. Une fois de plus, la France doit subir les horreurs de l’invasion. Enfin, le 27, dans la journée, les bataillons débarquent successivement à Esquelbecq.
LE RÉGIMENT EN FLANDRE. - Le régiment met pour la première fois le pied sur la terre des Flandres.
C’est une plaine basse, essentiellement constituée par des argiles formant le niveau d’eau où s’alimentent les puits et qui maintient à la surface du sol l’humidité caractéristique du pays. Une série de buttes isolées qui doivent leurs noms de montagnes à la platitude des alentours dominent la plaine de leurs 150 mètres; elles constituent la fameuse ligne des Monts (mont Cassel, mont des Cats, mont Noir, mont Vidaigne, mont Rouge, mont Kemmel) que l’ennemi a entamée parla prise du mont Kemmel, le 25 avril 1918 et que nous allons défendre âprement. Le reste du pays, d’une altitude de 40 mètres seulement, fait saillir à peine quelques dos de pays évasés. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le pays, en dépit de sa platitude, n’est point monotone. Des haies magnifiques, des rangées de beaux arbres encadrent les prairies, bordent les chemins et complètent heureusement le paysage. Sur la moindre élévation, s’élève un moulin à vent; fort nombreux, ils mettent une note pittoresque et originale dans le pays flamand.
Par-dessus les argiles, sont des limons quaternaires qui forment le vrai sol, celui avec lequel l’agriculteur flamand est aux prises. Épais de plusieurs mètres, ils sont favorables aux herbes et aux arbres, bien qu’assez pauvres naturelle ment; mais la lutte séculaire engagée contre cette terre par le paysan flamand lui a donné sa fertilité actuelle.
Le climat est loin d’être agréable, changeant et humide, souvent gris et maussade; il nous a valu à presque tous une grippe momentanée, surnommée la fièvre des Flandres. L’eau est partout à fleur de sol; l’habitation s’isole et faute de pierres se construit en torchis et en briques, habitation toujours propre et riante, à boiseries peintes, décorée de rideaux blancs avec des pots de fleurs à l’appui des fenêtres.
Cette dispersion des habitants rend le cantonnement fort difficile d’autant plus que la densité des troupes est extrême ment grande et que les agglomérations existantes regorgent déjà de troupes et de services anglais et français.
Le régiment s’installe après son débarquement dans la zone entre Wormoudht et le Nouveau-Monde, de chaque côté de la route menant à Cassel.
LA SITUATION. - De là, on entend sans arrêt une canonnade furieuse, effroyable, qui fait trembler sans arrêt les vitres et nous empêche de dormir. Les Allemands veulent, à tout prix, atteindre la mer, et Français et Anglais s’emploient de leur mieux à les contenir.
L’ALERTE DU RÉGIMENT. - La lutte d’artillerie va s’accentuant pendant les journées des 28 et 29. Le 29 au matin, le régiment est alerté à 9 heures et, à 11 heures, se met en route pour se porter à hauteur de la ferme de Haute Rome, le long de la route Steenworde-Cassel. Il bivouaque sur place le reste de la journée et le lendemain. La canonnade est toujours violente. Steenworde reçoit des obus de gros calibre. Un bataillon anglais relevé vient bivouaquer à HauteRome et à son arrivée nous assistons à son défilé accompagné par sa musique qui ne rappelle en rien la nôtre, et cette chose imprévue nous surprend et nous amuse. Le 30 au soir, le 1er bataillon est poussé jusqu’à Ecke où il cantonne. Il est chargé d’établir une tranchée de la cote 57 à la Commanderie. Le 2e bataillon se rend aux abords d’Oudezeele et le 3e bataillon à Terdeghem. L’É.-M. et la C. H. R. restent à Haute-Rome.
LA MONTÉE EN SECTEUR. - Le 1er mai, dans la nuit, a lieu la reconnaissance du secteur du régiment de réserve de la 34e D. I. Dans la nuit, la ligne des Monts, ponctuée de nombreuses lumières et rayée sans arrêt de fulgurantes lueurs, dresse une masse sombre qui paraît formidable. Des convois de ravitaillement sillonnent les routes. Des batteries innombrables crachent sans répit les obus de tous calibres.
Dans la nuit du 2 au 3 mai, les unités font mouvement et se rapprochent de la ligne de feu. La nuit suivante, le 1er bataillon va remplacer un bataillon du 59e R. I. à la Montagne. Le 2e bataillon s’installe dans la zone fermes PutefortPurgatoire. Le 3e bataillon va relever au mont Noir un B. C. P. Le P. C. du régiment est à la ferme Wleninkhove. Bien que l’artillerie ennemie soit active,. la relève s’est effectuée sans incident.
PHYSIONOMIE DU SECTEUR. - L’organisation du terrain est encore fort sommaire; les abris manquent totalement, le secteur étant tout à fait neuf, et, comme les coups pleuvent, chacun travaille activement.
Toute la zone qu’occupe le régiment est soumise à des tirs de harcèlement nourris et fréquents par obus de moyen et gros calibre. Les Allemands font un large emploi des obus à gaz (ypérite et arsine). En dépit de ces tirs, le régiment travaille activement à l’organisation du terrain : abris, boyaux, tranchées, réseaux.
Des tirs de destruction systématique sont exécutés par l’artillerie ennemie sur tout ce qui peut servir d’abri ou d’observatoire. Les moulins à vent qui jalonnaient la crête des Monts sont incendiés les uns après les autres; les grosses fermes flamandes subissent le même sort.
L’avance brutale des Allemands a surpris la population civile, qui n’a eu que le temps de partir précipitamment en laissant tout sur place. Les animaux abandonnés sont utilisés par les unités; le régiment assure l’évacuation d’une certaine quantité de blé; mais en dehors de cette initiative, aucun effort n’est tenté pour sauver récoltes ou mobilier, et peu à peu toutes les fermes à bonne portée du canon ennemi seront pulvérisées ou incendiées. Les arrières sont battues à une profondeur inconnue jusqu’ici. Dans une zone d’une quinzaine de kilomètres, les projectiles allemands viennent s’écraser sur les carrefours, les agglomérations, les voies ferrées, tandis que les avions de bombardement vont exécuter des raids presque quotidiens, plus en arrière encore.
L’aviation allemande est très active, mais l’aviation anglaise se signale par le nombre, la continuité de ses vols et son agressivité. Aussi domine-t-elle nettement son adversaire, et, tant qu’elle aura la garde du secteur, ce dernier ne pourra que difficilement traverser les lignes. Les journées des 6 et 7 mai marquent une recrudescence d’activité des deux côtés. L’ennemi prend à partie nos batteries· qui sont soumises à de violents tirs de destruction, et l’infanterie a beaucoup à souffrir des obus toxiques. L’état sanitaire des 2e et 3e bataillons placés dans la zone battue s’en ressent fortement.
A partir du 2 mai, l’activité allemande se ralentit sensiblement pendant quelques jours.
LE SÉJOUR EN PREMIÈRE LIGNE. - Dans la nuit du 10 mai, se font les reconnaissances du secteur tenu, en première ligne, par le 75e R. I., et dans la nuit suivante a lieu la relève. Le 3e bataillon relève au mont Noir le bataillon réserve de sous-secteur. Le 1er bataillon quitte la Montagne et se rend dans le C. R. de droite du sous-secteur de la croix de Poperinghe. Soumis à un tir de surprise, il éprouve quelques pertes. Le 2e bataillon relève devant Dranoutre, en avant du Château de Locre.
Le régiment est accroché au pied de la pente est des monts, tournée vers l’ennemi. La vigilance de ce dernier rend tout mouvement de jour, même d’isolés, très difficile. Les abris sont précaires. Les nuits très courtes sont employées à organiser la ligne de surveillance, à établir la ligne de résistance et à créer une communication enterrée entre la première ligne et l’arrière. Mais les nombreux tirs de harcèlement, avec une forte proportion d’obus toxiques, gênent considérablement le travail. Le ravin de la Douve, la croix de Poperinghe, le mont Noir, sont particulièrement battus.
Des patrouilles fréquentes constatent la forte occupation de la ligne ennemie et la vigilance de ses défenseurs. La vallée de la Douve est explorée; les fermes Hille et Jacques sont reconnues occupées par l’ennemi.
Dans la nuit du 15 au 16 mai, l’artillerie franco-anglaise se montre très active; la journée du 16 est très agitée.
Le soir de ce même jour, le 3e bataillon relève un bataillon de première ligne du 52e, dans le sous-secteur de Poperinghe. Dans la nuit du 17 au 18, les 1er et 2e bataillons sont relevé s par deux bataillons du 75e . La première partie de la nuit est fort agitée, mais elle s’achève très calme et permet la relève dans de bonnes conditions.
Les deux bataillons relevés travaillent activement; le 1er bataillon établit un boyau de la croix de Poperinghe à la ligne de surveillance; le 2e bataillon fait du transport de matériel et travaille à la ligne de résistance sur les pentes du mont Noir. Dans la nuit du 23 au 24 mai, les 1er et 3e bataillons se relèvent. La nuit suivante, le sous-lieutenant ÉCHEVIN tente un coup de main sur un saillant ennemi; celui-ci a été évacué et le groupe franc est reçu à coups de grenades et de mitrailleuses.
LE MORAL - Depuis son arrivée dans la région des Monts, le régiment, et spécialement le 2e bataillon, vit dans une atmosphère empoisonnée par l’ypérite et l’arsine, entre autres gaz. Mais chacun tient jusqu’à la limite de ses forcés. La situation générale est critique; les Allemands ont remporté des succès foudroyants; la victoire semble vouloir déserter notre camp. Les poilus et les chefs qui vivent avec eux sont dans une situation matérielle et morale atroce et, en dépit de tout, ils tiennent bon, faisant montre d’une fermeté d’âme qu’on ne saurait trop admirer, car, en des heures aussi sombres, elle apparaît sublime.
PÉRIODE DE RÉSERVE. - Le 52e relève le 140e dans la nuit du 25 au 26 mai. Le 1er bataillon se rend à la _Montagne; à Meulevalle, le 3e bataillon est fort mal installé; quant au 2e bataillon, il reste en réserve de D. I. dans la zone insalubre ferme Putefort-Purgatoire.
NOUVELLE PÉRIODE DE LIGNE. - Le 29 mai, le 3e bataillon remplace le 2e . L’état sanitaire de ce dernier qui respire depuis de longs jours une atmosphère toxique, s’aggrave sérieusement. Les évacuations se suivent et les effectifs fondent avec rapidité. Quand, au 8 juin, le régiment relève le 75e, ce bataillon ne peut remonter en ligne. Tous les éléments les moins intoxiqués (car tout le monde, sans exception, l’est peu ou prou), fantassins et mitrailleurs, constituent une compagnie de manoeuvre sous les ordres du capitaine GARNIER, commandant la 6e compagnie, les mitrailleurs étant commandés par le lieutenant DESCHAMPS. Cette compagnie relève au mont Noir un bataillon du 75e R. I.
Le régiment se remet, suivant son habitude, avec acharnement aux travaux d’organisation.
Le secteur est toujours très agité et les gaz continuent à faire des victimes.
LE REPOS DANS LA RÉGION DE ZERMEZEELE. - Dans la nuit du 4 au 5 juin, le 1er bataillon est relevé par extension du front du 3e bataillon vers la droite, et s’en va à Godevaersvelde, où il remplace les éléments du 2e bataillon restés dans cette zone qu’ils quittent pour aller cantonner aux abords de Zermezeele. Le lendemain, le 1er bataillon se rend à Hardifort, et les éléments encore en secteur sont relevés par le 221e R. I. (71e D. I.). Le soir même de la relève, le groupe franc, sous le commandement de l’adjudant Verdier, exécute un coup de main sur le cabaret Westvlaauderm. Le poste ennemi, ayant éventé notre approche, s’est replié et le groupe franc revient après avoir fouillé le bâtiment.
Après relève, le 3e bataillon se rend à Godevaersvelde ainsi que la compagnie de manoeuvre dont une partie cependant va cantonner à Meulevalle; le 6 juin, ils gagnent la zone de stationnement de la D. I.
Après quelques remaniements, le régiment très dispersé est ainsi réparti :
É.-M., C. H. R.. Zermezeele;
1er bataillon : Hardifort;
2e bataillon fermes entre Arneke et Zermezeele;
3e bataillon : Le Riècle, Nouveau Monde, fermes à l’est de la route Cassel-Wormoudht, les unités étant disposées en profondeur face à l’est.
Le régiment va bénéficier de quelques jours de repos qui lui sont bien nécessaires après l’effort prodigieux fourni en secteur. La besogne a été peu glorieuse, certes, sans éclat, mais combien méritoire et utile ! Cadres et troupe ont fait preuve, dans ces circonstances difficiles et pénibles, d’une fermeté d’âme sans égale. Les effectifs ont fondu et l’intoxication continue ses ravages pendant les premiers jours de repos.
De nombreuses citations sont accordées à quelques-uns de ceux qui, bravement, ont tenu quand même, bien que gravement intoxiqués ou blessés.
Des prises d’armes ont lieu à l’occasion desquelles le colonel HUSBAND, le général Roux viennent remettre eux-mêmes les croix de guerre et féliciter les soldats et leurs chefs de la tâche accomplie.
Quelques jours auparavant (le 29 mai), le
général commandant la division, dans son ordre du
jour no 39, nous disait ceci
" Le général commandant la division
félicite toutes les troupes sous ses ordres de
l’endurance, de la ténacité et de la
vaillance qu’elles ont montrées depuis quatre
semaines dans un secteur où la température
rigoureuse, les travaux continuels, les difficultés de
l’alimentation, les bombardements toxiques, se sont
réunis pour rendre la tâche plus pénible.
" Rien n’a arrêté nos beaux
régiments; tous ont compris qu’à ce moment
de la guerre, nul n’a le droit de marchander ses forces
à la patrie. "
Mais si en ligne, le poilu a été épatant, à l’arrière, au repos, il se prend parfois à songer qu’il pourrait être mieux encore, et l’offensive allemande du Chemin des Dames, en amenant à nouveau la suspension des permissions (un des grands facteurs du moral), provoque quelques mécontentements qui appellent un ordre du colonel
" Un certain malaise dû au ralentissement des permissions règne dans le régiment. Quelques têtes folles, grisées de mot comme celui-ci : la permission tous les quatre mois est un droit, songent à renouveler le coup de cafard de l’année dernière et parlent de faire grève, tout comme s’il s’agissait d’une question de salaire. C’est une incompréhension absolue des circonstances tragiques où nous vivons.
" La défection russe en nous privant d’une aide puissante, quoi qu’on en ait dit, a libéré 80 divisions allemandes qui sont devenues disponibles contre nous. Avec le temps, l’appoint américain compensera et au delà la défection russe, mais, pour le moment, les immenses disponibilités américaines ne sont pas encore là. L’ennemi le sait, frappe comme un sourd et veut nous enfoncer avant que l’intervention américaine soit devenue efficace. " Et c’est au moment où toutes les intelligences, toutes les pensées, tous les coeurs doivent être tendus vers ce but : tenir, arrêter l’ennemi, l’abattre, que quelques étourneaux, pareils à l’enfant qui brûle la maison de son père parce qu’on lui refuse un morceau de sucre, songeraient à marchander leurs efforts et annihileraient, en quelques jours, quatre ans de lutte, quatre ans d’efforts surhumains.
" Non, cela ne sera pas. Soldats de Verdun et de la Malmaison, quel est celui d’entre vous qui veut d’une France dépecée comme l’a été l’infortunée Russie! " Ces sages conseils devaient être écoutés et l’exhortation devait porter ses fruits.
Le 14 juin, le 1er bataillon se porte à Saint-Laurent (est de Vimezeele), en réserve du 14e C. A. Des reconnaissances d’officiers sont faites dans la zone éventuelle d’intervention du régiment, à l’est de Poperinghe.
Après quelques jours de repos, les unités ayant reçu des renforts sont remises à l’instruction; les exercices de cadres ont lieu pour les gradés et il y aura même un exercice de cadre pour tous les R. I. de la division.
Mais, bien que le front des Flandres demeure actif, les Allemands ne poussent pas plus avant vers Calais, et quantité de troupes françaises sont ramenées plus au sud. C’est le tour de la division à la fin du mois.
LE SÉJOUR DANS LA BRIE
LE DÉPLACEMENT. - Le 26, au soir, a lieu l’embarquement des fer et 2e bataillons. Le 3e bataillon, relevé à Saint-Laurent par les Anglais, est transporté en camions à Saint-Omer où il arrive le 27 au matin et embarque presque immédiatement.
Le régiment refait en sens inverse une partie du trajet effectué deux mois auparavant, débarque à Coulommiers, dans la nuit du 27 au 28, dans la journée du 28 et s’en va cantonner dans la région de Pommeuse.
LE REPOS DANS LA BRIE - Le régiment est pour quelques jours dans la région humide de la Brie, vaste plateau absolument horizontal, rayé de vallées parallèles, profondes et sinueuses, mais rares. Le sol est fait de calcaire siliceux et de matière recouvrant des marnes argileuses qui constituent un niveau d’eau et donnent à la contrée son caractère humide. Quantité de bois (chêne, hêtre, charme, tremble, aulne, peuplier) couvrent la région, alternant avec de riches cultures, de gras pâturages et des vergers où dominent le cerisier, le prunier et le pommier dont les fruits donnent un cidre délicieux qui a été fort goûté des hommes pendant les quelques jours qu’ils ont passés dans la région.
LE SÉJOUR EN CHAMPAGNE
LE DÉPLACEMENT. - L’instruction est à peine reprise que le régiment embarque en camions à destination de Mourmelon-le-Petit. Les cuisines roulantes, les échelons de C. M. sont embarqués avec la troupe; les autres équipages font mouvement par voie de terre en colonne de division. Dans la nuit du 17 au 18, les longues files de camions se déroulent sur les routes par La Ferté-Gaucher, Montmirail, Bergères-les-Vertus. Au petit jour, le débarquement s’opère dans la zone Vaudemange-camp Bressieux. Le régiment entre dans la Champagne Pouilleuse, région dont la physionomie lui est connue, puisqu’il y a vécu plus de deux mois en 1915. Petit à petit, dans la matinée, les nombreux camions restés en panne rejoignent successivement. On s’installe tant bien que mal dans les organisations disponibles ou dans les coins abrités pour une seule journée, car le lendemain, le 1er bataillon se porte au camp Zurich ainsi que le 3e bataillon, tandis que le 2e va au camp de l’Arsenal. Le P. C. du colonel est à Mourmelon-le-Petit.
L’ATTAQUE ALLEMANDE EN CHAMPAGNE
LA CONTRE-PRÉPARATION FRANÇAISE. - La 27e D. I. fait partie désormais de l’armée Gouraud. Le commandement s’attend à une puissante attaque allemande Sur le front de la VIe armée. Le régiment est mis à la disposition du 4e C. A, et doit tout d’abord occuper la deuxième position à hauteur de Baconnes en cas d’alerte. Les reconnaissances nécessaires sont effectuées. Dans la nuit du 22 au 23 juin, le régiment est alerté et occupe le dispositif suivant P. C. du colonel : à la Pyramide, à proximité de la route de Mourmelon à Prosnes. 3e bataillon à droite de cette route, sur la deuxième position;
1er bataillon à gauche de cette route, sur la deuxième position. Le 2e bataillon s’installe. aux abords de Prosnes, dans la position intermédiaire en soutien des unités de la 124e D. I., en première ligne.
Le régiment est à la disposition de la 124e D. I.; le 2e bataillon a deux compagnies (5e et 6e) et le fer peloton de la C. M. 2 à la disposition du 130e R. I.;
Une compagnie (7e) et le 2e peloton de la C. M. 2 à la disposition du 101e.
La mission est de tenir à tout prix la position occupée par les unités. La 124e D. 1. occupe une partie des Monts conquis de haute lutte et âprement disputés aux Allemands pendant l’année 1917. Un calme impressionnant règne dans ce secteur naguère si troublé. L’artillerie ennemie est muette, son infanterie semble inactive. Rien ne répond aux tirs de surprise et de harcèlement exécutés chaque soir par notre artillerie. L’ennemi semble montrer une passivité complète et ne riposte pas à nos coups de main quotidiens. Mais les services de renseignements nous apprennent qu’il poursuit fiévreusement et en grand mystère ses préparatifs d’attaque. De notre côté, nous nous préparons active ment à la défense. Le secteur est déjà puissamment organisé; on complète encore cette organisation tous les jours; les troupes occupent chaque nuit leurs emplacements de combat; la densité de l’infanterie et de l’artillerie a été accrue dans de fortes proportions et on a établi une judicieuse répartition des forces en profondeur. L’ennemi ignore tout de cela et chacun attend plein de confiance et sans la moindre nervosité les événements.
Le général GOURAUD nous montre, dans une belle proclamation, la grandeur et la difficulté de la tâche qui nous attend, mais en même temps nous dicte la conduite à tenir et proclame d’avance la victoire qui se prépare.
" Nous pouvons être attaqués d’un moment à l’autre. Vous sentez tous que jamais bataille défensive n’aura été engagée dans des conditions plus favorables. Nous sommes prévenus et nous sommes sur nos gardes. Vous combattrez sur le terrain que vous avez transformé par votre travail et votre opiniâtreté en une forteresse redoutable. Le bombardement sera terrible : vous le supporterez sans faiblir. L’assaut sera rude dans un nuage de fumée, de poussière et de gaz, mais votre position et votre armement sont formidables.
" Cet assaut, vous le briserez, et ce sera un beau jour.
Le 13 juillet, un changement a lieu dans le dispositif des troupes occupant la deuxième position.
Le P. C. du colonel se transporte aux abris Rouen à 400 mètres nord-est de Mourmelon-le-Grand.
Le 1er bataillon occupe le C. R. Dieppe et le 3e bataillon le C. R. Yvetot.
LE DÉCLENCHEMENT DE L’ATTAQUE. - La journée du 14 est calme ainsi qu’à l’ordinaire; les hommes et les cadres sablent tranquillement le champagne de l’Intendance. On cause naturellement de l’attaque. Certains se demandent si elle aura lieu (car tous les soirs, on nous annonce qu’elle est imminente), et si les Allemands, une fois de plus, ne vont pas nous jouer un mauvais tour en nous attaquant là où nous les attendons le moins.
La nuit devait nous apporter la brutale précision. Un coup de main heureux exécuté à la tombée de la nuit par il détachement du 366e capture 27 prisonniers appartenant aux troupes d’assaut, et par eux nous apprenons que l’attaque est pour le lendemain; la préparation d’artillerie commencera à 0H 10 et l’attaque se déclenchera à 4H 20. Ces renseignements sont communiqués le plus vite possible aux troupes intéressées, mais celles-ci, comme à l’ordinaire, ont déjà pris leurs emplacements de combat. L’artillerie française entame, dès 23 heures, une contre-préparation furieuse qui réveille Paris. Le calme le plus absolu continue à régner dans les lignes ennemies. A minuit 10, le tir de l’artillerie allemande se déclenche avec fracas à l’ouest des Monts et en quelques secondes, toute la ligne ennemie s’embrase. Bombes, torpilles, minens, s’écrasent sur les premières lignes tenues par de rares groupes d’hommes résolus; obus de tous calibres, fusants, percutants, à fusée instantanée ou à retard vont battre toutes les routes, toutes les pistes, les emplacements supposés de batterie. Les ravins, les boqueteaux, les camps, bivouacs et cantonnements, reçoivent un déluge de projectiles jusqu’à une profondeur incroyable, tandis que des pièces à longue portée bombardent Châlons et que des escadrilles lâchent bombes sur bombes.
La première position subit pendant de longues heures un feu insensé. Chacun a dû mettre son masque, car l’atmosphère est devenue rapidement irrespirable. Le lit boisé de la Prosnes où se trouve le P. C. du 2e bataillon fume comme un cratère. Mais les guetteurs sont à leur poste, les 75 rageurs ne se taisent point et quand au petit jour, à 4H20, l’ennemi se lance à l’assaut de nos lignes, il trouve des défenseurs décidés à l’arrêter.
L’INTERVENTION Du 2e BATAILLON. - Les postes d’infanterie de la zone avancée, les mitrailleurs de la ligne des réduits ralentissent l’attaque et la dissocient, les vagues d’assaut viennent buter les unes après les autres sur la ligne intermédiaire. Mais la tâche est lourde pour les défenseurs et l’on fait appel aux fractions de réserve. Une section de la C. M. 2 commandée par l’aspirant D’AMIGNY est envoyée en renfort au 1er bataillon du 130e , qui tient bravement sur la tranchée la plus avancée de la ligne intermédiaire; les deux pièces font un mal terrible à l’ennemi qui ne peut déboucher devant elles. L’une est détruite par un obus de gros calibre qui tue ou blesse tous les servants, mais l’autre tient bon et fait d’excellente besogne pendant deux jours. Trois sections de la 6e compagnie (en réserve le long de la voie romaine, à hauteur de la ferme Moscou) et deux sections de la 5e (en réserve, à gauche de la 6e compagnie, au sud de la voie romaine) sont également envoyées en renfort au 130e et contribuent à repousser les attaques répétées des Allemands. Devant Prosnes, dans le secteur du 101e , les Allemands réussissent à mordre sur la ligne intermédiaire et à dépasser, en quelques points, la voie romaine qu’il faut conserver à tout prix. C’est alors qu’il est fait appel à la 7e compagnie. Par des contre-attaques incessantes menées par les boyaux, de 8 heures du matin à 4 heures du soir, l’ennemi, dont l’effort semble se diriger vers le moulin de Monchy-, est arrêté, et de violents combats à la grenade le rejettent au delà de la voie romaine.
Les 16 et 17 juillet, au lever du jour, après une courte, mais extrêmement violente préparation d’artillerie, l’ennemi attaque en force précédé de flammenwerfers. La 7e compagnie intervient encore, contient l’ennemi et l’empêche de s’établir au sud de la voie romaine.
A la suite de ces brillants exploits, cette compagnie devait être citée à l’ordre de l’armée, avec le motif suivant
" La 7e compagnie du 140e , sous les ordres du capitaine CHERTIER, le 15 juillet 1918, dans le secteur de Prosnes, pendant la bataille de Champagne, a exécuté de brillantes contre. attaques pour rejeter l’ennemi au delà de la ligne de combat. A repoussé ensuite plusieurs attaques au cours de la même journée, ainsi que les 16 et 17 juillet. A contribué par sa vaillance et sa bravoure à briser la progression de forces puissantes et décidées à passer coûte que coûte pour atteindre les objectifs éloignés qu’elles avaient choisis. "
A l’extrême gauche du secteur du 101e, une section de la C. M. 2, commandée par l’adjudant HAULEUX, déclenche, à chaque attaque ennemie, des tirs d’interdiction nourris et efficaces qui contribuent grandement à briser l’élan des vagues d’assaut. Le, moral des mitrailleurs est du reste admirable. Depuis six mois seulement, le matériel Hotchkiss a remplacé le matériel Saint-Étienne qui a donné tant de déboires au cours de la campagne, et c’est la première fois qu’il doit entrer en action dans une grande bataille. Une pièce de la section d’Amigny tire plus de 6.000 coups au cours d’une seule attaque. Pendant trois jours de suite, chaque matin, les pièces de la section HAULEUX chauffent au rouge; la chambre à gaz devenue transparente laisse apercevoir le va-et-vient du piston.
Le flot pressé des assaillants, bien que soutenu par une artillerie puissante et éclairée par une aviation formidable, vient mourir, grâce à l’énergie des troupes de la défense, devant la ligne intermédiaire.
Pendant la journée du 25, le T. R., violemment bombardé, s’en va bivouaquer à 1.200 mètres au nord du mont des Renardières.
LE ROLE DU 1er BATAILLON. - Le 1er bataillon quitte le C. R. Dieppe. La 17e compagnie, mise à la disposition du 330e, est envoyée au bois des Marmites; le lendemain, le reste du bataillon est mis à la disposition du 366e et s’installe à l’est des grands bois de Prosnes, au sud de la voie romaine. Le 18, il se porte en première ligne entre le boyau du mont Sans Nom et le boyau des Écoutes et redescend le soir au bois 44.
LES RÉSULTATS. - L’activité ennemie diminue, l’attaque allemande va en mourant, mais le secteur demeure cependant très agité.
Le général GOURAUD devait nous dire, une fois la bataille terminée
" Vous avez le droit d’être fiers, héroïques fantassins et mitrailleurs des avant-postes qui avez signalé l’attaque et l’avez dissociée, aviateurs qui l’avez survolée, bataillons et batteries qui l’avez rompue, états-majors qui avez si minutieusement préparé le champ de bataille. C’est une belle journée pour la France. "
Le 19 juillet, il fait connaître aux troupes les premiers résultats de la brillante contre-offensive déclenchée la veille par les armées MANGIN et DEGOUTTE. Après la bataille, nos lignes sont devenues sensiblement celles d’avant les attaques de 1917. L’ennemi occupe de nouveau la ligne des Monts devant laquelle il s’était arrêté en septembre 1914.
LE SÉJOUR EN SECTEUR. - Dans la nuit du 20 au 21 juillet, le 1er bataillon moins la C. M. 1 relève un bataillon du 366e dans le quartier Lauzon. La C. M. 1 monte en ligne la nuit suivante, ainsi que le 3e bataillon qui relève un bataillon du 330e à droite du 1er bataillon. Pendant ce temps, le 2e bataillon est venu se regrouper au C. R. Les Pins; le 22 juillet, il relève un bataillon du 130e dans le C. R. Philippeville.
Le général de division prend le commandement du secteur où se trouve le régiment et à cette occasion adresse aux troupes l’ordre suivant " Je prends à partir de ce matin, 8 heures (22 juillet), le commandement du secteur. " Je félicite cordialement les éléments de notre division qui ont déjà combattu et travaillé depuis le 4 juillet. Je sais ce qu’ils ont fait et je l’apprécie hautement.
" Certain que nos troupes de toutes armes continueront
à assurer victorieusement la défense et à
montrer à l’ennemi ce qu’elles valent, je
les remercie d’avarice de leurs efforts pour prendre sur
l’Allemand une supériorité indiscutable par
leur vigilance, leur activité et leur mordant "
Le même jour, le colonel HUSBAND nous adressait
également ses félicitations. Le 4 août, le
colonel ROUSSEAU, commandant le 130e régiment, adressait
la lettre suivante au colonel DESTEZET " J’ai
l’honneur de vous adresser les diplômes de
citations à l’ordre de mon régiment qui ont
été proposées par le commandant CHASTANET.
Les citations des échelons supérieurs’ ne
sont pas encore revenues.
" Je crois devoir profiter de cette occasion, mon colonel, pour vous exprimer toute la satisfaction que m’ont donnée les deux compagnies du 140e qui ont été mises à ma disposition sous le commandement du chef de bataillon CHASTANET. Je ne me permettrai pas de porter un jugement sur la tenue de cette troupe qui a fait notre admiration, mais il m’appartient de vous dire avec quel dévouement les différentes fractions sont venues remplacer les groupes de la première ligne dépensés en contre-attaques. Le commandant CHASTANET a fait preuve, en la circonstance, de la plus grande camaraderie et des qualités de chef que vous lui connaissez.
" Mon colonel, le régiment n’oubliera pas le concours qui lui a été prêté par le beau 140e. Nos hommes ont mêlé leur sang pour la cause commune; des hommes de votre régiment sont enterrés au milieu des miens; nous adoptons leurs tombes, si vous le permettez, comme si elles étaient nôtres. " Le 24, l’ennemi tente sans succès, après un bombardement par torpilles, un coup de main sur un P. C. de la 11e compagnie. Une patrouille audacieuse de la 10e compagnie explore en plein jour un boyau conduisant chez l’ennemi et rapporte quantité de matériel.
L’OPÉRATION DU 27 JUILLET. - Pour dissocier l’attaque ennemie, on a abandonné sur tout le front une bande de terrain sur une profondeur de 3 à 4 kilomètres. Sur tout le front de l’armée, une série d’opérations vont être engagées qui, tout en nous donnant des prisonniers et des renseignements, permettront de reprendre possession de quelques points intéressants. Une opération de cette nature est décidée dans le secteur de la division. Dans la soirée du 25, le 2e bataillon vient aux abris M-4 (P. C. Salvator) remplacer un bataillon du 52e qui se porte plus en avant; le 26, la 6e compagnie va occuper le quartier Lauzon.
L’opération projetée sera exécutée le 27, au matin, par le 1er bataillon du 140e et deux bataillons du 52e . Les reconnaissances nécessaires sont effectuées. Pendant la deuxième partie de la nuit, les troupes d’attaque viennent prendre position en avant de nos lignes dans une ancienne ligne de surveillance qui leur servira de parallèle de départ. A 3 heures, l’artillerie française déclenche son tir de préparation et trente-cinq minutes après, l’infanterie, avec un élan superbe, part à l’assaut. La 1re compagnie atteint rapidement son objectif (bois des Guetteurs), la 2e compagnie attaque le P. C. Lambert (section JOLY), capturant 30 prisonniers, et atteint à 4 heures son objectif. La 2e compagnie est commandée par le lieutenant BOUVIER, " jeune officier plein d’ardeur qui conduit pour la première fois une compagnie au feu le 27 juillet 1918. A obtenu du premier coup le rendement maximum, réduisant deux nids de mitrailleuses dangereux et atteignant très rapidement les objectifs fixés; s’est maintenu malgré un bombardement très violent, grâce à une active et intelligente organisation " (Citation à l’ordre de l’armée).
Le nettoyage des abris effectué par la section EYZAC donne encore 25 prisonniers. Cet officier, " modèle de bravoure et de sang-froid, à l’attaque du 27 juillet a entraîné sa section avec un élan remarquable. Blessé d’une balle en plein visage, en arrivant à la première ligne ennemie, s’est écrié : " Vive la France! " Au cours du nettoyage, le caporal FILIPPINI, " d’un courage et d’une bravoure à toute épreuve ", se distingue spécialement.
" Pendant l’attaque du 27 juillet 1918, a été un bel exemple pour toute sa section en le portant continuellement aux points les plus menacés. A pris le commandement d’une demi-section pendant l’attaque, l’a vigoureusement conduite pendant une opération de nettoyage d’abris et fait de nombreux prisonniers. " (Citations à l’ordre de l’armée.)
La 3e compagnie atteint le bois 112 où elle prend une liaison étroite avec le 52e . Quelques combats à la grenade se déroulent encore et l’objectif est définitivement atteint à 9h 45 (bois des Guetteurs et boyaux Champenoux du bois no 25 à la tranchée Barnay).
Le bataillon, pour sa brillante conduite, est cité à l’ordre de la division
" Sous les ordres du chef de bataillon CROIBIER, a brillamment enlevé ses objectifs à l’attaque du 27 juillet 1918, a capturé une centaine de prisonniers, a conservé pendant cinq jours la position conquise, malgré les contre-attaques ennemies. A contre-attaqué à différentes reprises pour refouler toutes les tentatives ennemies. "
Le commandant CROIBIER, blessé au début de l’action, ne devait cependant quitter son bataillon que lorsque la situation nouvelle serait nettement établie. Quelque temps après, il était promu officier de la Légion d’honneur avec le motif suivant : - " Brillant officier supérieur. A magnifiquement entraîné son bataillon à l’assaut d’une position fortement organisée. Blessé au cours de l’action, a continué à assurer le commandement de son unité sans consentir à se faire évacuer. Une blessure antérieure. Chevalier de la Légion d’honneur pour faits de guerre. Quatre citations.
La position conquise est intégralement maintenue en dépit de deux fortes contre-attaques bien appuyées par l’artillerie, déclenchées à 17 heures et 20 heures. A la nuit, le 2e bataillon se porte à hauteur du quartier Lauzon entre le boyau Laval et le boyau Champenoux, et assurera, dans des conditions très pénibles, le ravitaillement en munitions et en vivres des éléments engagés.
La journée du 28 et les suivantes sont très agitées, car l’ennemi contre-attaque furieusement. Il paraît décidé à vouloir nous chasser des positions conquises. Son artillerie est très active et fait un large emploi des obus toxiques; le 2e bataillon, à qui l’on fait fréquemment changer de position, de jour comme de nuit, a particulièrement à souffrir de ces tirs; il descend en partie au village Gascon le 28 au soir tandis que la 7e compagnie et un peloton de la C. M. 2 vont au bois des Marmites, est alerté le lendemain au jour et reprend ses emplacements de la veille, reçoit l’ordre, dans l’après-midi du 19, de relever à la nuit tous les éléments du 52e et du 140e sur le front d’attaque, ce qu’il fait après avoir vaincu des difficultés sans nombre avec des effectifs très réduits et des hommes très affaiblis.
Les trois compagnies sont en ligne; la 7e compagnie tient les tranchées de Péra et de Smyrne à gauche; la 6e compagnie les tranchées de Ham et de Brousse au centre; la 5e, la tranchée de Bagdad et le boyau Champenoux à droite. Le P. C. du commandant CHASTANET est dans le boyau du mont Sans Nom.
La situation n’est pas brillante, il n’y a devant l’ennemi qu’un mince rideau d’hommes dans un terrain bouleversé et sillonné d’un lacis de boyaux inextricables, propices à l’infiltration et à la surprise; la journée du 30 est relativement calme, mais le lendemain, dès le jour, les Allemands lancent attaques sur attaques avec de gros effectifs; ils pénètrent dans la tranchée de Bagdad et nous enlèvent quelques postes ; une contre-attaque brillamment menée par le sergent fourrier GENEVOIS et appuyée par la section DESCHAMPS de la C. M. 2 nous rend le terrain perdu. Sur le front de la 6e compagnie, le lieutenant MANICACCI est l’âme de la résistance; bien que blessé, il demeure à son poste et refoule toutes les tentatives de l’ennemi. Sa belle conduite lui vaut la citation suivante à l’ordre de l’armée : " A donné, le 31 juillet, les preuves de la plus grande ténacité et de la plus belle énergie. Chargé d’assurer, avec sa compagnie, la garde d’une position et ayant été blessé dès le début de l’action, a tenu à conserver le commandement de son unité. A résisté à quatre contre-attaques successives et a conservé intégralement sa ligne après avoir inlassablement contre-attaqué l’ennemi et lui avoir infligé les pertes les plus sévères. A la gauche de la 7e compagnie, la liaison difficile à assurer avec le 52e permet à l’ennemi de surprendre un groupe de fantassins et de mitrailleurs qui n’ayant pas su se garder suffisamment sont faits prisonniers. Mais les éléments demeurés autour du lieutenant GUILLAUD qui vient de prendre le commandement de la compagnie défient tous les assauts de l’ennemi:
" Officier d’une bravoure splendide et d’un sang-froid au-dessus de tout éloge. Le 31 juillet 1918, attaqué à quatre reprises par des forces très supérieures en nombre, a réussi à assurer la défense de son point d’appui avec la plus belle énergie et contre-attaqué inlassablement l’ennemi auquel il a infligé des pertes sévères, et a réussi à conserver toutes ses positions. " (Citation à l’ordre de l’armée.)
En présence de la précarité de la situation, le commandement décide d’évacuer la zone tenue par le 2e bataillon et la ligne redeviendra celle d’avant l’attaque du 27 juillet. Le 1er bataillon est en place sur cette ligne, en liaison avec le 3e bataillon à droite, le 52e R. I. à gauche. Le 2e bataillon va occuper sur la deuxième position, devant Mourmelon-le-Grand, les C. R. Dieppe et Y Yvetot où il profite de quelques jours de détente. Depuis le 17 juillet, il a été particulièrement à la peine et la citation suivante à l’ordre de la IIe armée sera la récompense des efforts fournis " Après s’être distingué brillamment à la bataille du 15 juillet 1918, a relevé, sur la position conquise le 27, les trois bataillons d’attaque. Sous un tir écrasant d’artillerie et devant un ennemi très mordant, a fait preuve, sous les ordres de son chef, le commandant CHASTANET, d’une ténacité qui lui a permis de garder intégralement ses positions bien que son effectif fût réduit à une compagnie. "
LA FIN DU SÉJOUR EN SECTEUR. - Le secteur est toujours très agité; l’ennemi fait un large emploi des obus toxiques, sur le village Gascon, en particulier. A partir du 3 août, l’ennemi déclenche chaque matin, entre 3h 30 et 4h 30, un violent bombardement sur nos premières lignes, sans tenter aucune action d’infanterie. Dès la tombée de la nuit, il exécute des tirs de harcèlement très nourris sur les pistes et les arrières. L’aviation ennemie est très active, mais son artillerie se tait presque complètement pendant le jour.
LE REPOS DANS LA ZONE DE PRINGY. - A partir du 6 août commence la relève du régiment par le 101e R. I. En trois étapes, faites de nuit, le régiment se rend à Pringy, Drouilly et Ablancourt, sur les bords de la Marne.
Les différentes unités ont traversé une partie de l’immense et aride camp de Châlons, partie la plus stérile de la Champagne Pouilleuse où le " terrain vaut cent sous l’arpent quand il y a un lapin dessus ", et le soir même où elles ont traversé Châlons elles ont assisté au raid d’une escadrille de bombardement ennemie sur cette ville. Par Châlons, le régiment a pénétré dans la large vallée de la Marne qu’il va remonter, traversant, au long d’une route qui s’écarte du fond de la vallée un peu marécageux, une série de villages qui s’étendent en longueur parallèlement à la rivière, s’égrenant en chapelets de telle sorte que l’on passe parfois sans s’en apercevoir d’un village à l’autre. Quelques maisons rustiques sous le toit de chaume qui les enveloppe presque subsistent encore, mais elles se transforment aujourd’hui en maisons de briques. Les prairies souvent tourbeuses garnissent le fond largement plat de la vallée, tandis que les champs se déroulent en minces bandes perpendiculaires.
Tandis que sur les bords de la Marne, le régiment goûte un repos bien gagné, les opérations continuent à se développer favorablement pour nous.
La zone de cantonnement est fort agréable. La vallée de la Marne, fraîche et fertile, avec sa rivière et son canal ombragé, fait oublier le plateau crayeux et stérile où l’on vient de vivre si longtemps.
Le 11 août, une prise d’armes impressionnante est faite à Châlons pour remettre fourragères et décorations aux unités et aux combattants qui se sont distingués lors de l’attaque allemande du 15 juillet. Le régiment y envoie une délégation comprenant le chef de corps, l’officier porte-drapeau et 24 sous officiers et soldats commandés par un officier.
LE SÉJOUR DANS LA ZONE DE BOURSAULT. - La période de repos finit le 18 août 1918. Le régiment quitte la IVe armée et en trois étapes faites de nuit, étapes longues (25 kilomètres au moins), très pénibles, se rend dans une zone qui vient d’être le théâtre de violents combats. Le 1er bataillon cantonne à Oeuilly, le 3e bataillon à Boursault; le 2e bataillon à Leuvrigny complètement démoli où l’on utilise les caves et les rares maisons encore debout. La région de Leuvrigny, proche de Port-à-Binson, entre la forêt d’Enguyen et la Marne, a vu se dérouler, quelques semaines auparavant, de violents combats. Par là, l’ennemi avait franchi la Marne le 18 juillet, mais le 20, l’armée DE MITRY bordait de nouveau la rivière. Les traces de la lutte sont toutes fraîches encore. Des équipes de territoriaux ont opéré le ramassage des épaves du champ de bataille et le 2e bataillon continue pour son propre compte cette récupération, pour le plus grand bien des ordinaires de compagnie. Quelques civils sont revenus à Leuvrigny et recherchent, dans les ruines et les décombres, les débris de ce qui leur a appartenu avant que passe la bataille destructrice. La troupe apporte toute son aide aux malheureux habitants en leur fournissant des vivres et en réparant tant bien que mal leurs habitations avec des moyens de fortune. Pendant le séjour dans cette zone, le régiment reprend l’instruction. Des tirs sont exécutés. On étudie, au cours d’exercices de cadres et de manoeuvres avec troupe, l’emploi des tanks dans les actions offensives.
LE SÉJOUR EN LORRAINE
LE DÉPLACEMENT - Le 28 juillet, le régiment quitte la vallée de la Marne pour se rendre en Lorraine. L’embarquement a lieu à Oeuilly-Station-La Cave, et le lendemain, les bataillons débarquent successivement à Moyen.
Il cantonne en entier à Moyen, à l’exception du 2e bataillon qui va s’installer à Vallois. Nous sommes dans le plateau lorrain, région ondulée, de formes molles et de topographie confuse. La terre est argileuse et tenace. Sur ces terres fortes, desséchées et fendillées en été, bourbeuses et compactes en hiver, la culture ne peut employer que de forts chevaux, mais les récoltes sont fructueuses. Dans les endroits où la terre arable est mince, s’étendent de vastes forêts, principalement autour de Lunéville (forêt de Vitrimont, de Paroy, de Mondon), des monticules isolés (côte de Virieu, côte d’Essey) dominent le plateau et certains d’entre eux ont été le théâtre de sanglants combats en 1914. La propriété est très divisée et les habitants se groupent en villages de quelques centaines d’habitants. De loin, on n’aperçoit qu’un groupe pelotonné de maisons presque enfouies sous des toits de tuiles descendant très bas. Elles s’alignent tant bien que mal le long d’une longue rue irrégulière où se trouvent les puits, les fontaines et les tas de fumiers.
LE SÉJOUR EN SECTEUR. - La 27e D. I. qui fait partie maintenant de la Ville armée est destinée à relever la 6e D.I. Le régiment prend possession du sous-secteur de Fréménil, du 2 au 4 septembre. Un bataillon est en ligne devant Domjevin, un autre en réserve autour de Fréménil et le dernier est au camp Rolland, dans la forêt de Mon don. Le secteur du régiment englobe en première ligne les villages de Reillon et Blémerey.
Le nouveau secteur est très calme. Les deux artilleries sont peu actives, les avions assez rares. De part et d’autre, la densité des troupes en ligne est très faible. Les petits postes, fortement constitués, sont très éloignés les uns des autres et changent de place fréquemment afin de dérouter l’ennemi. Un stosstrupp allemand exécute fréquemment des patrouilles et des reconnaissances. Le groupe franc du régiment et des fractions constituées à gros effectif font de leur côté de nombreuses reconnaissances et tendent beaucoup d’embuscades. Dans la nuit du 10 au 11 septembre, le groupe franc, commandé par le sous-lieutenant FAVIER, tombe dans une embuscade en exécutant une reconnaissance devant Gondrexon. Après un violent combat, le groupe réussit à se dégager; le sous-lieutenant FAVIER est grièvement blessé ainsi que cinq hommes, et quelques autres tombent aux mains de l’ennemi.
Le 2e bataillon, qui a poussé activement son installation pendant un séjour au camp Rolland, relève le dans la nuit du 10 au 11 septembre. Celui-ci se rend au camp Rolland et à son premier jour de repos fait une prise d’armes, au cours de laquelle le colonel HUSBAND remet la croix d’officier de la Légion d’honneur au chef de bataillon CROIBIER, et celle de chevalier au capitaine FLOURIOT. Les unités en réserve travaillent activement à l’organisation de la ligne de résistance et procèdent à des reconnaissances en avant de nos lignes.
Vers le milieu de septembre, une modification a lieu dans la répartition des troupes en ligne. Le secteur du régiment englobe en plus le village de Saint-Martin, un bataillon reste à Fréménil, l’autre s’installe à Ogéviller, le P. C. du colonel se transporte à Buriville.
LE COUP DE MAIN DU 2e BATAILLON. - Le 2e bataillon exécute, dans la nuit du 15 au 16 septembre, un coup de main de va-et-vient sur les tranchées de la Rotonde et du Dramaturge. Sa mission est de ramener des prisonniers, des documents et du matériel. L’opération a été préparée soigneusement; les différentes compagnies du bataillon ont effectué des reconnaissances dans la zone d’opération. Les cadres sont venus fréquemment inspecter le terrain. Toutes les nuits, des détachements ont été chargés de faire des brèches dans le réseau ennemi, sur le front d’attaque. La préparation du terrain la plus utile aura été faite par le lieutenant MARMO NIER qui pendant de longues nuits, avec une ardeur inlassable, prépare les cheminements destinés à aiguiller les colonnes d’assaut sur leur objectif. Plusieurs répétitions du coup de main sont exécutées à l’arrière; le commandant CHASTANET explique à chacun son rôle, montre bien les difficultés de la tâche, donne les plus sages conseils dont hommes et gradés font leur profit et communique à tous sa foi dans le succès.
Le 2e bataillon a une section de génie à sa disposition. Quelques batteries d’artillerie de campagne et d’artillerie lourde feront l’encagement auquel participeront plusieurs compagnies de mitrailleuses.
Le 17, à 19 heures, le 2e bataillon se porte à Reillon et, de là, gagne ses positions de départ en avant de notre ligne de surveillance.
A 22 heures, au moment où se déclenche le tir d’encage ment, le bataillon se porte à l’attaque des tranchées de la Rotonde et du Dramaturge, situées à 1.500 mètres à l’intérieur des lignes ennemies et protégées par des obstacles aussi forts que nombreux. Quatre lignes successives de tranchées couvertes par quatre réseaux épais barrent la route; de nombreux réseaux bordent les boyaux et cloisonnent les différents éléments de tranchée, transformant le terrain à parcourir en une véritable toile d’araignée de fil de fer qu’il faut cisailler à la main. L’ennemi déclenche sur le bataillon le tir de nombreuses mitrailleuses, placées sur l’objectif à atteindre et sur les deux flancs. Toutes ces difficultés sont vaincues. Le sous-lieutenant PANGON, de la 5e compagnie, saute, à l’heure fixée (10h 35), sur l’objectif assigné, tombe sur un poste ennemi et ramène six prisonniers et une mitrailleuse. A 23h 15, le bataillon est de retour. Il a reçu pendant sa rentrée dans nos lignes quelques obus seulement, le barrage ennemi, assez intense, s’étant fait beaucoup trop à l’est. Les pertes sont légères; il n’y a qu’un seul tué et huit blessés dont un officier.
Ce coup de main vaut au bataillon les félicitations
du colonel HUSBAND.
Le sous-lieutenant PANGON est cité à
l’ordre de l’armée en ces termes
" Au cours d’une reconnaissance offensive, a
donné les plus brillantes preuves de courage et de
sang-froid. Bien que blessé, a conservé le
commandement de son unité qui a fait six prisonniers et
capturé une mitrailleuse. "
Le commandant CHASTANET, dont le travail de préparation, l’énergie déployée et l’exemple personnel avaient assuré le succès, est cité à l’ordre du 6e C. A. Les patrouilles, embuscades et reconnaissances continuent et de temps à autre nos fractions se heurtent aux éléments ennemis. C’est ainsi que, dans la nuit du 18 au 19 septembre, une reconnaissance de la 10e compagnie engage un violent combat avec une patrouille ennemie et capture un sous-officier de landwehr. Dans la nuit du 12 au 13 octobre, la 2e compagnie et une section de la 7e compagnie, en exécutant une reconnaissance sur le bois Viard, engagent le combat avec 1er bataillon une patrouille ennemie et ramènent un prisonnier, mais, en revenant, elles se heurtent à un fort détachement ennemi qui vient pour attaquer un de nos petits postes; après une mêlée assez confuse, la reconnaissance française regagne nos lignes. Un caporal et trois hommes ont disparu au cours du combat, en outre un homme est tué et trois autres blessés. L’ennemi, de son côté, tente de nombreux coups de main. C’est ainsi que le 25 septembre, au matin, vers 4 heures, un parti ennemi fort de 70 hommes et armé de mitrailleuses légères attaque le petit poste du carrefour au nord de Reillon qui comprend un caporal et six hommes commandés par le sergent BOUHIER, de la 6e compagnie. Complètement encerclé et serré de très près, le poste se défend avec acharnement à coups de fusil, de grenades et de V.-B. L’ennemi est repoussé; il emmène ceux des siens qui sont hors de combat mais n’a fait aucun prisonnier. Cette belle résistance du poste lui vaut les félicitations du général de division. Le chef de poste est cité à l’ordre de l’armée "Le 25 septembre, le sergent BOUHIER, étant chef d’un petit poste violemment attaqué et encerclé par une forte reconnaissance ennemie, a vaillamment tenu tête à l’adversaire, livrant un dur combat allant jusqu’au corps à corps. A repoussé tous les assauts, mettant l’ennemi en fuite et lui infligeant des pertes.
A partir du 20 septembre, les bataillons rouleront entre eux pour l’occupation du secteur.
Chacun d’eux fait six jours de ligne et douze jours de réserve. Au cours d’un séjour à Ogéviller, le 2e bataillon fait une prise d’armes à Buriville au cours de laquelle le colonel HUSBAND remet une croix de chevalier à un officier étranger au régiment et un certain nombre de croix de guerre à quelques-uns de ceux qui ont été cités pendant le séjour en Lorraine. Puis il félicite de vive voix le bataillon pour l’heureuse réussite du coup de main.
On a vu précédemment que l’infanterie ennemie se montrait assez active. Son artillerie, peu dense, est active par intermittence. Elle exécute des tirs de harcèlement sur les postes, mais prend particulièrement à partie les batteries. Les cantonnements habités par les civils à proximité de la ligne de résistance reçoivent quelques obus de façon tout à fait exceptionnelle.
LE REPOS DANS LA ZONE DE GIRIVILLER. - A partir du 26 octobre, le régiment est relevé par le 226e R. I. et fait deux étapes qui le conduisent aux cantonnements de Giriviller, Seranville et Mattexey.
Dans cette zone de stationnement, l’instruction est reprise activement, de nombreuses marches militaires figurent dans le programme. Quelques prises d’armes ont lieu par bataillon pour des remises de croix de guerre.
L’ARMISTICE
Le bruit court sous le manteau qu’une offensive formidable est en préparation en Lorraine.
En quelques jours, du reste, tous les villages se remplissent de troupes de toutes sortes:
infanterie, artillerie, dont le calme du secteur n’explique pas la présence. La 27e D. I. est rattachée à la Xe armée (général Mangin) et fait partie du 1er C. A. colonial. Le 10 au soir, le régiment fait mouvement pour se rendre à Charmois, Vigneulles et Barbonville.
Le moral de la troupe est excellent; l’offensive continue et foudroyante des Alliés a ramené une confiance inébranlable en la victoire; mais on parle beaucoup plus de l’arrivée des délégués allemands auprès du maréchal FOCH que de l’attaque en préparation. Les optimistes, fort nombreux, croient à la fin de la guerre; quelques pessimistes doutent encore; depuis quelques jours, les informations les plus sensationnelles ont paru et la matinée du 11 se passe dans une attente fiévreuse; de tous côtés, " on " affirme que l’armistice est signé, mais aucune nouvelle officielle n’est parvenue et on entend du reste le canon qui tonne encore. A 11h 30 cependant, les cloches sonnent à toute volée, la musique du régiment en quelques secondes, organise un défilé, une proclamation du colonel est distribuée et une joie profonde, immense, envahit chaque combattant. Plus d’obus, plus de tranchée ni de boyaux, plus de relèves mouvementées et de marches de nuit interminables; plus de boue, plus de " cagnas " , plus de " totos ".
Et en ce grand jour, qui consacre la victoire de la France, le soldat sait rester digne ainsi que l’a demandé le colonel.
RÉCAPITULATION DES PERTES. - La guerre est finie pour le régiment. Au cours de cinquante et un mois de campagne, il a largement contribué à défendre le sol de la patrie contre l’envahisseur. Il a participé à quelques opérations retentissantes où il écrit de belles pages de gloire et l’armistice l’a arrêté à la veille du jour où il allait inscrire de nouveaux noms sur son glorieux drapeau. Mais sa splendide histoire, il l’a écrite du sang de ses soldats. Plus de 3.000 d’entre eux ont donné leur vie pour le pays, et près de 8.000 ont été blessés. Les officiers n’ont pas manqué de donner l’exemple; 77 sont tombés au champ d’honneur et environ 140 ont versé leur sang sur le champ de bataille. Ces chiffres ont leur éloquence et disent qu’au régiment chacun a fait son devoir pour que la France ne meure pas.
LA MARCHE TRIOMPHALE VERS LE RHIN
Désormais, les opérations vont suivre un autre cours. Conformément aux conditions de l’armistice, nos troupes vont rentrer en Alsace et en Lorraine et les grandes unités vont être orientées dans leur zone de marche.
La division est remise à la disposition de la Ville armée et rattachée au 3e corps, commandé par le général Lebrun qui a été officier au 140e et a eu le régiment sous ses ordres à Verdun. Son ancienne compagnie, la 6e (la 2e du II suivant la nomenclature de cette époque), sera sa compagnie d’honneur pendant toute la marche triomphale vers le Rhin.
L’ENTRÉE EN LORRAINE DÉLIVRÉE. - Le mouvement en avant commence le 15 novembre.
Le 16, le régiment vient cantonner dans le secteur qu’il a tenu pendant de longues semaines. Poilus et officiers passent leur après-midi à visiter les lignes allemandes où les mitrailleuses se sont tues.
Le 17 novembre au matin, commence la marche triomphale.
Le régiment est avant-garde de la colonne.
Pendant les jours précédents, le génie de la division a travaillé activement à rétablir la route à travers les lignes. Un pont est reconstruit sur le ruisseau d’Albe. Les barrages contre tanks ont sauté à coups d’explosifs.
Chacun regarde avec intérêt. La première ligne allemande est fort solide et protégée par des réseaux formidables qui défient la cisaille, mais les positions suivantes sont tout juste ébauchées. Le Boche a évacué soigneusement toute cette zone. Il n’y reste pas trace de matériel ou de munitions.
On traverse Gondrexon dont il ne reste que des pans de murs, Autrepierre, moins démoli, aménagé en cantonne ment par l’ennemi, puis on grimpe la côte d’Igney. Le village qui porte ce nom est bien démoli. Des obus français de gros calibre ont creusé des entonnoirs formidables dont certains coupent la route. De là, on descend rapidement sur Avricourt. On approche de la frontière. A ce moment, de nombreux avions français arrivent au-dessus du régiment, évoluent rapides en rasant les arbres et les maisons aux applaudissements frénétiques des poilus auxquels répondent les aviateurs. Ce jour-là, l’union sacrée règne dans l’armée.
A l’entrée d’Avricourt, des travaux de défense contre tanks sont restés inachevés. Plus loin, des drapeaux pavoisent quantité de maisons et cependant peu de civils sont restés; l’ennemi ayant procédé depuis quelques semaines à une évacuation systématique en prévision d’une attaque française. Le régiment, d’un pas décidé et d’une allure fière, franchit la frontière, drapeau déployé, tandis que les avions vont et viennent, " cherrant " au ras des toits. Après Avricourt, c’est Deutsch-Avricourt dont la gare immense a bien souffert du feu de notre artillerie et des bombes d’avions. A Réchicourt-le-Château, de petits groupes de civils regardent défiler le régiment, d’autres paraissent indifférents.
En fin de marche, le régiment atteint Gondrexange où il doit cantonner, à l’exception du 3e bataillon qui se rend à Hertzing.
C’est une bourgade modeste mais demeurée bien française.
Des sapins font dans toutes les rues une allée de Verdure sombre. Des drapeaux, des oriflammes tricolores confectionnés avec des moyens de fortune pavoisent les maisons. La population tout entière s’est portée au-devant des soldats. Les honneurs sont rendus au drapeau dans une cérémonie qui emprunte à son cadre et aux circonstances une grandeur impressionnante. L’entrée dans le village se fait dans un enthousiasme délirant. Les habitants se font partout un plaisir de recevoir nos soldats et plus d’un vieux Lorrain finaud sort une Vieille bouteille de Vin ou d’eau-de-Vie qu’il a su dissimuler à l’oeil inquisiteur de l’Allemand rapace.
Le lendemain 18, la marche en avant continue. La réception la plus grandiose nous attend à Sarrebourg qui n’a pas revu les troupes françaises depuis les derniers jours d’août 1914. Le régiment est précédé par un cortège comprenant toutes les notabilités, les sociétés lorraines locales avec leurs étendards et une gracieuse théorie de jeunes filles portant le coquet costume de Lorraines ou d’Alsaciennes. Entre la double haie d’une population vibrante d’enthousiasme qui nous acclame frénétiquement, le régiment défile superbe et fier. Le général LEBRUN, devant qui a lieu le défilé, félicitera chaudement le régiment. Les cantonnements sont juste au delà de Sarrebourg.
Tout le long de la route, on croise des soldats lorrains qui ont abandonné l’armée allemande et rentrent chez eux, des prisonniers français qui ont profité de ce que les camps ne sont plus gardés pour se rapatrier eux-mêmes.
Chaque soir, un réseau d’avant-postes est établi pour surveiller la circulation, rassembler, reconnaître et aiguiller les soldats français ou lorrains qui reviennent. Le mouvement est repris le 21 après deux jours de repos. Phalsbourg, la petite Ville si bien défendue en 1870 par le commandant TAILLANT, fait un accueil enthousiaste au régiment qui défile devant le général ROUX, placé à côté de la statue du général MOUTON.
LA TRAVERSÉE DE L’ALSACE. - Le régiment se dirige Vers le col de Saverne, à travers la sombre forêt de conifères qui couvre les mamelons des Vosges au sud et le massif moins élevé et largement étalé de la Haardt au nord. La route est fort agréable et les kilomètres se succèdent sans trop de fatigue. La plaine d’Alsace s’étend à nos pieds. Malheureusement, la brume limite la vue, mais de la route en lacets on surplombe la région de Saverne que l’on aperçoit distinctement. Cette localité est évitée. Le premier Village rencontré est Steinbourg où le régiment défile au milieu des acclamations; des coups de feu sont tirés en signe d’allégresse. Le régiment arrive le 24 aux environs de Soultz et stationne pendant quatre jours.
Au cours de ces différentes étapes, le régiment a traversé presque toute la Basse-Alsace. Après avoir parcouru, en quittant le pied des Vosges, une région de collines semées sans Ordre, il arrive dans la plaine, longe l’antique solitude sylvestre et giboyeuse qui sur 14.000 hectares s’étend au nord de Haguenau et pénètre dans la région agricole où les cultures couvrent presque tout le sol, où la campagne plantureuse et féconde est interrompue sporadiquement par des nappes boisées. Le type du peuplement est le village, Village atteignant parfois un millier d’habitants, le plus souvent, de quelques centaines, mais très rapprochés, respirant l’aisance, d’une propreté remarquable avec leurs maisons en pisé qu’égaient leurs poutres entre-croisées, leurs balcons, leurs sculptures, leur entourage de vergers.
EN VUE DU RHIN. - Le régiment s’est approché du Rhin, et il est destiné à relever dans la zone des avant-postes (zone de Lauterbourg) une unité de la 121e D. I. Du 11 au 20 décembre, le régiment monte la garde sur les bords du Rhin.
Le Rhin, frontière naturelle de la Gaule, perdu avec les invasions des barbares, reconquis avec Charlemagne, perdu à nouveau, convoité par les rois de France, atteint sous Louis XIV, repris en entier en quelques mois de campagne par les armées Victorieuses de la Convention, perdu en grande partie en 1814, complètement en 1870, voit les armées françaises revenir prendre possession du fleuve rapide dont les eaux s’éparpillaient tout le long de l’Alsace avant les travaux qui ont redressé le chenal, corrigé ses caprices et contenu les inondations violentes, le transformant en une magnifique voie navigable qui véhiculait la houille, les minerais, les céréales, le pétrole et les bois dans de grands chalands d’acier.
LE SÉJOUR SUR LES BORDS DU RHIN. - Une série de postes sont échelonnés le long du Rhin, de la Sauer à la Lauter, et le long de bette dernière rivière qui marque la frontière entre l’Alsace et le Palatinat. Des patrouilles et des rondes sont effectuées chaque soir par l’infanterie, le jour par la cavalerie. Aucun incident notable n’est à signaler. Les troupes disponibles sont remises à l’instruction agrémentée de jeux.
La population ne parle pas le français, à l’exception de quelques habitants, instituteur, bourgmestre parfois et surtout le curé qui a été généralement l’apôtre de la résistance à la germanisation. Les poilus ne connaissent pas davantage l’allemand ou le patois alsacien, mais la meilleure bonne volonté règne de part et d’autre; on arrive à se comprendre et les meilleures relations s’établissent entre les soldats et la population civile. Les hommes sont du reste dans d’excellentes conditions matérielles, étant logés chez l’habitant et en dehors d’un service de garde assez chargé, il est vrai, jouissent d’une assez grande liberté. Des permissions pour Strasbourg leur sont accordées et beaucoup d’entre eux ne manquent pas d’aller visiter cette belle cité et sa célèbre cathédrale.
LE SÉJOUR EN LORRAINE
LE DÉPLACEMENT. - A la fin du mois de décembre, le séjour de la division aux avant-postes est terminé. Par une série d’étapes, le régiment va retraverser toute la Basse-Alsace, franchir le massif boisé de la Haardt, au nord du col de Saverne et viendra stationner dans la région de Thionville.
1919 |
LE SÉJOUR DANS LA ZONE DE THIONVILLE. - A partir du 4 janvier, la 27e D. I. est mise à la disposition du général commandant la place de Thionville et doit relever la 53e D. I. Le régiment assure la garde de la frontière luxembourgeoise et l’occupation du territoire. Une série de petits postes placés le long de la frontière du Luxembourg assurent le service de surveillance et empêchent la contrebande. Les autres postes veillent à l’exécution des prescriptions établies par le service des étapes. Les éléments disponibles reprennent l’instruction. Commencée le 25 décembre, la démobilisation suit son cours.
LE DÉPART DU COLONEL DESTEZET. - Le colonel DESTEZET est mis à la disposition du commandant en chef de l’armée d’Orient. A l’occasion de son départ, une prise d’armes a lieu le 2 mars. Le commandant FRÉQUENEZ, adjoint au chef de corps, lui présente les fanions des compagnies et des bataillons accompagnés de détachements comprenant tous les hommes et les cadres disponibles et le drapeau; il lui exprime en termes émus tous les regrets que laisse derrière lui son départ et lui souhaite une belle destinée en Orient. Après avoir retracé en quelques mots la vie glorieuse du régiment pendant la guerre, le lieutenant-colonel DESTEZET, qui a commandé pendant plus de trois ans et demi ce beau régiment, adresse ses adieux à tous et remet le drapeau au commandant FRÉQUENEZ.
Le 18 mars, lors d’une prise d’armes à Thionville, le colonel commandant provisoirement 1’l. D. présente au 140e R. I. le lieutenant-colonel QUINAT qui vient d’être nommé au commandement du régiment.
Durant le reste du séjour, aucun incident ne vient troubler la vie du 140e. La classe 1919 est venue en renfort le premier mars, l’instruction continue dans de bonnes conditions. D’excellents cantonnements ont été aménagés pour la troupe. La démobilisation continue. Les permissions marchent bien et les poilus vivent heureux au milieu de la population lorraine. Le 140e, par sa bonne tenue, a su s’attirer les sympathies des Lorrains, contribuant par là à leur faire aimer de nouveau la France qu’ils n’avaient point oubliée. Dans les derniers jours de mars, à la suite d’une modification dans la répartition des troupes de la 27e division, le 1er bataillon vient en entier à Thionville; le 2e bataillon s’installe dans la zone de Boulay-Bouzonville et le 3e bataillon occupe la zone de Sierck.
LA RENTRÉE A L’INTÉRIEUR - FIN DE LA CAMPAGNE
Le 13 avril, le régiment quitte la zone des armées par voie ferrée et vient cantonner dans la région lyonnaise. Dans la première quinzaine du mois d’août, il s’achemine, par étapes, vers Grenoble, et le 14 août, il fait une rentrée triomphale dans sa garnison d’avant-guerre qu’il avait quittée cinq ans auparavant. Parti plein d’enthousiasme pour courir sus à l’ennemi qui foulait déjà le sol sacré de la patrie, il a toujours tenu très haut les trois couleurs à l’ombre desquelles il a vu passer tant d’obscurs et glorieux poilus conduits par des chefs incomparables. Il a contribué de toute son énergie, de toute son âme, à écrire cette histoire prodigieuse que l’armée française a faite de ses souffrances, de son héroïsme, de ses sacrifices, de son sang, du meilleur d’elle-même et qui nous a conduits à la Victoire. Honneur au 140e ! Il a bien mérité de la Patrie!