La ligne Hindenburg en mars 1917

ligne de repli Hindenburg
Jusqu'à la position Siegfried, chaque village n'était plus qu'un monceau de ruines, chaque arbre abattu, chaque route minée, chaque puits empoisonné, chaque cours d'eau arrêté par des digues, chaque cave crevée à coups d'explosifs ou rendue dangereuse par des bombes cachées, chaque rail déboulonné, chaque fil téléphonique roulé et emporté, tout ce qui pouvait brûler avait flambé: bref, nous changeâmes le pays en désert, en prévision de l'avance ennemie... Parmi les surprises préparées pour nos successeurs, quelques-unes étaient d'une méchanceté raffinée. C'est ainsi qu'on tendait à l'entrée des maisons et des galeries des fils métalliques, presque invisibles, fins comme des crins, qui déclenchaient au moindre contact des charges d'explosifs. En de nombreux endroits, des puits étroits furent creusés dans les rues; on y enfouissait un obus; le tout était recouvert d'un madrier de chêne, puis de terre. Un clou, planté dans le madrier, dépassait juste au-dessus de la fusée de l'obus. L'épaisseur de la planche était calculée de telle sorte que les détachements d'infanterie pouvaient y passer sans risque, mais dès que le premier camion ou que la première pièce d'artillerie le traversait, le madrier se courbait et l'obus sautait. Les plus perfides étaient les bombes à retardement, enterrées au fond de la cave d'édifices isolés, qu'on laissait intacts. C'étaient de grosses bombes, séparées en deux parties par une cloison de métal. L'une des chambres était remplie d'explosif, l'autre d'un acide. Une fois qu'on avait dissimulé ces oeufs diaboliques, l'acide rongeait durant des semaines la cloison métallique et amorçait la bombe. L'une d'elles fit sauter l'hôtel de ville de Bapaume au moment même où les autorités s'y étaient rassemblées pour célébrer par une grande fête l'entrée des troupes anglaises.
Ernst Jünger "La retraite de la Somme" dans "Orages d'acier".