REPRESAILLES SUR LE FRONT RUSSE (LA COURLANDE)
Chapitre VII _ Septembre: On sent l'automne. Les journées sont longues et lourdes. Les pommes de terre doivent être mûres. Notre but, nos seules pensées : pouvoir en arracher quelques-unes et, le soir, les faire griller au foyer de la cuisine. Une période de pluies froides pendant laquelle nous n'avons pu travailler aux champs. Alors, pour nous occuper durant les heures réglementaires, on nous aligne le long des fossés pleins d'eau avec des pelles et nous remuons la vase, rectifions les bords, les pieds dans l'eau, ruisselants de pluie, tandis que les sentinelles nous reprochent sans cesse de ne pas nous intéresser au travail et tout le temps : "Los, arbeiten, arbeiten ! "... Les champs de pommes de terre nous narguent : elles doivent être rondes, énormes; leurs faunes jaunies pendent. Les arbres rougissent vite, des rages de vent arrachent des tourbillons de feuilles. Il n'y a plus de cigognes. Mais matin et soir des myriades de corbeaux arrivent en trombes noires; tout retentit de leurs croassements obsédants. Qu'il fait triste ! |
Stupéfaction et joie ! Ce matin on nous a fait faire la
récolte des pommes de terre ! C'est incroyable, ça ne
durera pas, ou c'est un piège pour nous tenter. Tant pis, il faut en profiter. Tous nous avons décousu nos doublures de vestes, de capotes, et, matelassés, surchargés de patates, nous sommes revenus en trainant la jambe... Nous continuons le travail aux champs de patates. Mais les sentinelles en remplissent aussi leurs poches. Allors, allons-y ! matin et soir, nous en ramenons tant que nous pouvons. Et sous les bat-flancs, les provisions s'entassent... nous jubilons. Pour les cuire, nous avons descellé les briques qui
murent les foyers des deux grands calorifères russes dans
notre chambre. On fait la chasse au bois et institué des
"tours de feu". |